Clément Tarantini (EHESS/Centre Norbert Elias/UMR VITROME) soutient sa thèse en anthropologie préparée sous la direction de Yannick Jaffré (CNRS) et Patrick Peretti-Watel (INSERM) le 6 octobre 2020 à 14h00 en visioconférence.
Afin d’affecter le moins possible la qualité de la visioconférence, l’accès du public est limité. Les personnes souhaitant assister à la soutenance devront se rapprocher du candidat.

Titre
Le risque infectieux au regard des pratiques d’acteurs. Une anthropologie « par le bas » de la gestion du risque infectieux à l’hôpital.

Résumé
Partant d’une enquête ethnographique, cette thèse interroge la construction sociale des pratiques de gestion du risque infectieux chez les professionnels de santé d’un service hospitalier de Maladies Infectieuses et Tropicales. De telles unités ont pour spécificité d’accueillir exclusivement des patients contagieux ou suspectés de l’être et de se situer en première ligne dans la réponse aux crises sanitaires épidémiques : les problèmes liés aux infections nosocomiales (IN) et la circonscription des épidémies y tiennent donc une place cruciale. Ce travail anthropologique invite alors à se détacher de la notion de risque telle qu’appréhendée par la santé publique, et à s’intéresser aux agencements du risque par lesquels se construisent les pratiques d’acteurs. Se dévoilent ainsi certaines des lignes qui composent ces agencements, les façons dont elles se rejoignent, divergent, et jouent les unes sur les autres. C’est en suivant ces lignes que se dessinent les dynamiques sociales impliquées dans la construction des pratiques préventives face au risque infectieux, ainsi que leur caractère socialement différencié. Ces lignes peuvent être au moins de trois sortes : historiques, normatives, et sensible.
Les premières éclairent tant l’histoire longue dont sont aujourd’hui les héritiers les services de maladies infectieuses et tropicales et les dispositifs d’isolement qu’ils abritent, que les singularités d’une histoire locale, chacune façonnant, à sa manière, les visages du soin et les rapports au risque infectieux. Les secondes sont normatives, en sens qu’elles découlent directement des processus par lesquels les dispositifs de gestion du risque infectieux et les innovations socio-techniques qui s’y rattachent participent de la constitution des pratiques d’acteur. De ces lignes s’exprime alors la question des évaluations et des jugements que les soignantes portent sur ces dispositifs, des façons dont elles composent et négocient avec eux pour s’engager dans des activités de soin qui impliquent de faire face aux dangers invisibles incarnés par les agents infectieux pathogènes. Les troisièmes sont certainement les plus occultées par les experts de la prévention, tant la question des émotions et des sentiments entre en tension avec la rationalité scientifique. Pourtant, les sentiments de peur et de dégoût, tout comme l’expérience de la saleté associée à ce dernier, sont au fondement de formes de socialisations et de stratégies professionnelles centrales dans la construction des rapports au risque infectieux. L’étude de ces lignes sensibles constitue un préalable à une meilleure compréhension des pratiques d’acteurs.
À l’heure où les résistances bactériennes s’imposent comme un nouveau défi dans la lutte contre les IN, et où les maladies (ré)émergentes sont au centre des préoccupations des autorités sanitaires, les professionnels de santé, et plus encore ceux de « première ligne » exerçant dans des services de maladies infectieuses et tropicales, jouent un rôle décisif dans la lutte contre ces nouveaux risques infectieux. Mettre au jour les ancrages sociaux du risque par la réalisation d’études empiriques qualitatives constitue alors, à n’en pas douter, un enjeu essentiel pour contribuer à la prévention des infections nosocomiales et à la gestion de ces nouvelles épidémies. De nombreuses autres lignes restent à explorer.

Title
The risk of infection in light of actor practices. An anthropology « from below » of infectious risk management in hospital.

Summary
Based on ethnographic investigation, this dissertation examines the social construction of infectious risk management practices among healthcare workers in a hospital unit for Infectious and Tropical Diseases. Such units are specifically designed to take on patients who are contagious or suspected of being so and are front-line responders to epidemic health crises: problems linked to hospital-acquired infections (HAI) and the containment of epidemics are thus of crucial importance. This anthropological work is an invitation to move away from the notion of risk as it has been apprehended by public health, and to look more toward the agencements of risk that actor practices are built upon. Thus unfurl some of the lines that make up these agencements, the ways in which they are connected, diverge, and play against each other. In following these lines, the social dynamics implicated in the construction of preventive practices in the face of infectious risk, as well as their social differentiated nature, come to the surface. These lines can be of at least three sorts: historic, normative, and sensitive.
The first shed light as much on the long history inherited by today’s infectious and tropical disease wards and their isolation dispositifs, as on the specificities of a local history, each shaping in its own way the faces of care and the relationship towards infectious risk. The second are normative in the sense that they are derived directly from the processes by which isolation dispositifs and socio-technical innovations contribute to shaping actor practices. These lines then give way to questions about evaluations and assessment and judgements that caregivers might have about these dispositifs, the ways in which they compose, assemble and negotiate with them in order to engage in care-giving activities that imply facing invisible dangers embodied in infectious pathogenic agents. The third are certainly the most obscured by prevention experts, as the question of emotions and feelings enters into conflict with scientific rationality. And yet, feelings of fear and disgust, as much as the experience of filth associated with the latter, are at the core of forms of socialization and professional strategies central in the construction of the relationship toward infectious risk. The study of these sensitive lines is a prerequisite to a better understanding of actor practices.
At a time when bacterial resistance is emerging as a new challenge in the fight against HAI, and when (re)emerging diseases are at the center of concerns for health care authorities, health professionals, and even more so those who are on the “front line” working in infectious and tropical disease wards, play a decisive role in the fight against new infectious risks. Exposing the social anchors of risk through empirical and qualitative studies constitutes, without a doubt, an essential contributive step toward the prevention of HAI and to the management of these new epidemics. Many other lines are yet to be explored.

Jury
Philippe Brouqui, professeur des université, Aix-Marseille Université (Examinateur)
Yannick Jaffré, directeur de recherche, CNRS (Co-directeur de thèse)
Marie Jauffret-Roustide, chargée de recherche, INSERM (Rapporteure)
Frédéric Keck, directeur de recherche, CNRS (Président du jury)
Anne-Marie Moulin, directrice de recherche émerite, CNRS (Rapporteure)
Patrick Peretti-Watel, directeur de recherche, INSERM (Co-directeur de thèse)

École doctorale
EHESS – Formation doctorale « Sciences sociales – Marseille » (École doctorale 286)
Spécialité : anthropologie