Appel à articles pour la revue Études de communication, dont la 63e livraison, coordonnée par Nicolas Navarro (UR AAP, université de Liège) et Lise Renaud (Centre Norbert Élias – UMR 8562, Avignon université), portera sur « L’Œuvre et son image numérisée : représentation, fabrication, documentation ».
Date limite : 15 octobre 2023.

Le développement de la numérisation conduit à une multiplication d’images numérisées d’objets, d’œuvres, voire d’individus, etc. Des avatars de jeux vidéo aux « jumeaux numériques » promus par l’Internet des objets, la prétention à dupliquer le monde, à le reproduire numériquement envahit de nombreuses sphères sociales. Parmi celles-ci, le champ de l’art et du patrimoine est fortement impacté en raison d’une double tradition de fabrication d’images pour la recherche (reconstitution archéologique, radiographie, observatoire photographique, etc.) (Sicard, 1998) et de circulation d’imageries médiatisées (carte postale, film documentaire, produit dérivé, livre d’art (Saemmer et Tréhondart, 2017), etc.) qui constitue le terreau d’une forme d’appétence pour ces représentations numériques.

La fascination pour ces imageries numériques a tendance à occulter l’ensemble des processus communicationnels qui président à leur existence, et en particulier ceux qui concernent la relation entre l’œuvre et son image, processus pourtant déjà questionné dans ses implications notamment par les travaux de l’école de Francfort (Benjamin, 1936). Or, concernant le champ de l’art et du patrimoine, l’attention des travaux contemporains a jusqu’ici davantage portée sur les processus d’ajustement des professionnels (Sandri, 2020) ou la réception de ces imageries (Vidal, 2018) que sur les processus de construction de ces images. Dans une logique communicationnelle, ces processus sont envisagés comme des médiations à la fois sociales, techniques et symboliques que l’usage fréquent de l’expression « médiation numérique » tente de décrire au prix de la simplification (Navarro, Renaud, 2019). Tout en permettant de prendre la mesure de la complexité et densité de ces médiations, nous postulons que l’attention aux questions de représentation, de fabrication et de documentation favorise un regard critique sur la production de ces images numérisées et est susceptible d’éclairer à nouveaux frais les enjeux socio-symboliques associés.

L’objectif de ce dossier est ainsi d’analyser l’ambivalence des relations entre une œuvre et sa représentation numérique. Il ne s’agit donc pas de discuter de la spécificité d’œuvres qui seraient nativement numériques mais bien d’interroger celles qui proposent un rapport de représentation d’une œuvre originale avec une reproduction numérique. Ces « œuvres » sont en revanche envisagées dans un sens large et ouvert en tant qu’objet à l’opérativité sociale et symbolique singulière (Marin, 1994 ; Davallon, 2007), caractérisée par une unicité qui en construit l’authenticité. En ce sens, les articles pourront aborder une diversité de formes artistiques, d’objets patrimoniaux, tant qu’ils convoquent le processus numérique de représentation évoqué (la représentation théâtrale et sa captation, l’original et son double, le monument et sa numérisation dans un jeu vidéo, etc.). Il s’agira de questionner ces modalités de représentations et leurs implications.

Trois axes sont ainsi envisagés comme :

Un premier axe développe une approche conceptuelle de l’œuvre et de sa représentation, de la relation entre modèle et copie.
Les auteurs, notamment en sciences de l’information et de la communication, ont proposé plusieurs manières de qualifier ces représentations : de la notion de « double », à celle de « substitut », en passant par le terme de « jumeau ». Ces qualifications semblent charrier avec elles des manières différentes de conceptualiser le rapport entre l’œuvre et son image. Mais à travers ces questions de terminologie, quel est le statut de l’objet numérisé perceptible à travers elle ? De quelle manière est qualifiée et spécifiée la relation entre ces deux instances ? Les propositions intégrées dans cet axe pourront ainsi se centrer sur la manière dont la numérisation interroge la représentation de l’objet, lui permet parfois de se rendre présent (à l’exemple de la numérisation des grottes préhistoriques). Elles pourront également envisager les différents statuts accordés aux représentations numériques, entre copie et original, portant en elles des questionnements sur la véracité ou la vraisemblance, mais également l’erreur ou la falsification. Enfin, elles pourront également interroger la nature sémiotique de la relation entre l’œuvre et sa représentation, en tant qu’elles en constituent le témoignage par des traces visuelles, ou dans un processus d’iconisation.

Un deuxième axe s’intéresse plus spécifiquement aux processus de fabrication même de l’image numérisée.
Il s’agit ici d’envisager sa fabrication comme un ensemble de médiations qui supposent, et laissent souvent invisibles, des choix, des valeurs qui en guident et régissent la production. En d’autres termes, l’image numérisée est la résultante d’un processus inscrit socialement, porteur d’imaginaires sociaux, politiques. Comment l’analyse de ces représentations entendues comme processus, de leur production à leur réception, nous permet-elle de comprendre les médiations qui s’opèrent ? Les propositions répondant à cet axe pourront ainsi s’intéresser aux modalités d’écriture numérique des objets artistiques et patrimoniaux et des cadres et dispositifs (architextes, logiciels…) qui les rendent possibles tout en les configurant (Souchier et al., 2019). Elles pourront également s’interroger sur la reconnaissance plus ou moins explicite d’un point de vue guidant la représentation, qu’il s’agisse de la reproduction d’une visite dans une exposition dite « virtuelle » ou au contraire de la production d’un point de vue a priori original, distinct du spectateur en salle, dans la captation d’une œuvre de spectacle vivant. Également, les propositions pourront interroger les médiations qui permettent de faire travailler ensemble les différents acteurs concepteurs de ces représentations combinant, à la manière de composites (Le Marec, 2002) des dimensions techniques, scientifiques, sociales, symboliques, artistiques, patrimoniales.

Un troisième axe envisage la relation de l’œuvre et sa reproduction du point de vue de la documentation.
Dans la recherche scientifique, mais également au sein des établissements patrimoniaux, les processus de numérisation s’associent à des logiques documentaires des œuvres ou des objets patrimoniaux. Le développement des bases de données numérisées, mêlées aux injonctions politiques à la numérisation des collections, a, par exemple, conduit à la croissance d’une documentation numérique qui n’est pourtant pas juste une réplique des processus de documentation préexistants. Les propositions répondant à cet axe pourront d’une part s’intéresser au statut de la représentation dans le processus de documentation : s’agit-il uniquement d’un « substitut », comme une version numérique de l’objet intégré à la base de données, ou permet-il de développer des pratiques documentaires spécifiques ? Elles pourront d’autre part interroger les médiations documentaires (Tardy, 2014), liées aux processus de numérisation des œuvres, collections et objets. Enfin une troisième perspective interrogera les logiques d’archivage, d’organisation des connaissances (ontologies, métadonnées, etc.), de conservation propres à ces représentations numériques ainsi qu’à leur modalité de mise à disposition des publics (dossiers d’œuvres, base de données, etc.).

 

Composition du comité de lecture

Angela Anzelmo – Université Galatasaray (Turquie)
Sébastien Appiotti – Université Paris Sorbonne, CELSA
Christina Badulescu – Université de Poitiers
Jessica de Bideran – Université de Bordeaux
Jean Davallon – Université d’Avignon
Marie-Noëlle Doutreix – Université Lumière Lyon 2
Noémie Drouguet – École supérieure des Arts Saint-Luc, Liège (Belgique)
Geoffroy Gawin – ENSSIB, Université de Lyon
Pierre Hallot – Université de Liège (Belgique)
Camille Jutant – Université Lumière Lyon 2
Cécile Tardy – Université de Lille
Laurier Turgeon – Université Laval (Canada)

 

Sélection des propositions

La sélection des propositions de contribution se fait en deux temps :
– sur la base d’un résumé de 1 500 à 2 000 mots qui présentera les objectifs, l’argumentation et l’originalité de la proposition ainsi que quelques orientations bibliographiques,
– pour les résumés retenus, une seconde évaluation sera réalisée sur la base des articles définitifs.

Les instructions aux auteurs, à respecter scrupuleusement, sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668
L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs du comité.
L’envoi des résumés au plus tard le 15 octobre 2023 au format Word (.docx) ou OpenDocument (.odt) se fait aux adresses suivantes :
nicolas.navarro@uliege.be
lise.renaud@univ-avignon.fr

Les propositions d’articles et les articles définitifs d’une longueur de 35 000 à 40 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) peuvent être soumis en français ou en anglais. Les articles définitifs sont publiés en français pour la version papier du numéro de la revue, français (et le cas échéant en anglais) pour la version électronique. Aucun engagement de publication ne peut être pris avant la lecture du texte complet.

 

Calendrier

15 octobre 2023 : soumission du résumé
15 novembre 2023 : notification de l’acceptation ou du refus du comité de lecture aux auteurs
15 mars 2024 : remise de la version complète des articles
15 juin 2024 : réception des versions définitives
Fin décembre 2024 : publication du numéro (version papier et version électronique)

 

Appel à articles pour la rubrique Varias

Études de communication lance un appel à articles permanent pour sa rubrique Varias.
Toutes les propositions dans les différents domaines de la recherche en SIC sont les bienvenues. Les consignes de rédaction sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668.

 

Bibliographie indicative

Benjamin, W. (2013 [1936]). L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Allia.
Davallon, J. (2007). Louis Marin : limites de la sémiotique et opérativité symbolique. Hermès, 48(2), 130-131.
https://doi.org/10.4267/2042/24112
Le Marec, J. (2002). Situations de communication dans la pratique de recherche : du terrain aux composites. Études de communication, 25, 15-40.
https://doi.org/10.4000/edc.831

Marin, L. (1994). De la représentation. Seuil.
Navarro, N. et Renaud, L. (2019). La médiation numérique au musée en procès. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 16.
https://doi.org/10.4000/rfsic.5592

Saemmer, A. et Tréhondart N. (2017). Livres d’art numériques. De la conception à la réception. Hermann.
Sandri, E. (2020). Les imaginaires numériques au musée. MkF éditions.
Sicard, M. (1998). La fabrique du regard : images de science et appareils de vision (XVe-XXe siècle). Odile Jacob.
Souchier, E., Candel, É. et Gomez-Meija, G. (2019). Le numérique comme écriture. Théories et méthodes d’analyse. Armand Colin.
Tardy, C. (2014). Les médiations documentaires des patrimoines. L’Harmattan.
Vidal, G. (2018). La médiation numérique muséale : un renouvellement de la diffusion culturelle. Presses universitaires de Bordeaux.

 

ILLUSTRATION :
Superposition de nuages de points 3D de Notre-Dame de Paris avant et après l’incendie de 2019
La capture est issue de l’environnement de visualisation interactive 3D développé par l’UMR MAP dans le cadre du groupe de travail « Données numériques » du chantier scientifique Notre-Dame de Paris
© V. ABERGEL / L. DE LUCA / UMR 3495 Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine / Vassar College / GEA / LIFE 3D / Chantier scientifique Notre-Dame de Paris / Ministère de la Culture / CNRS.
Avec l’autorisation de CNRS Images.
Plus d’infos : https://images.cnrs.fr/photo/20210063_0035