Appel à contributions pour le n°Abîmes, abysses, exo-mondes. Explorations en milieux-limites et techniques de confinement à paraitre à l’automne 2020. 

En s’inspirant de l’invitation de Jules Verne à s’intéresser aux mondes lointains et mystérieux, ce numéro se penche sur les modes d’exploration et d’habitation d’univers souvent conçus comme hostiles mais qui stimulent la curiosité et l’inventivité. Il invite à penser les relations, médiées par les techniques, que les êtres humains entretiennent avec des milieux pour eux délétères voire fatals. Nous entendons par « milieu » l’articulation entre trois dimensions : les aptitudes perceptives des êtres considérés, ici les êtres humains ; l’environnement, déjà porteur de potentialités techniques ; et les artefacts, outils, machines, modes d’organisation et diverses techniques psychiques. Quels dispositifs techniques corporels, matériels mais aussi « imaginaires » ou représentationnels, ces mondes requièrent-ils pour être « vivables » ?

Sans être immédiatement et radicalement invivables comme les mondes sous-marins et spatiaux, les mondes souterrains sont souvent considérés comme des espaces situés en dehors ou en parallèle des socialités humaines. À la fois inconnus et mystérieux, ils mobilisent des sentiments et des pratiques qui relèvent autant de la fascination que de la répulsion, associant protection et oppression, sérénité et terreur. Malgré cette ambivalence, les hommes et les femmes n’ont eu de cesse de s’engouffrer dans ces mondes humides, sombres, glacés, difficiles d’accès.

Les accidents, comme celui de la mine chilienne de Copiapo ou, plus récemment, celui qui a piégé une équipe de football junior dans une grotte karstique thaïlandaise, mettent plus particulièrement en évidence – en raison de l’urgence – la variété et la vitalité des filières techniques que suppose l’attrait pour les tréfonds de notre monde. Jusqu’à présent, les études se sont surtout penchées sur les mines, l’extraction et la collecte des substances terrestres, l’organisation collective du travail et son économie, l’ingénuité, la créativité et les savoir-faire développés face à des matériaux parfois récalcitrants, à qui les praticiens attribuent une certaine « agence ». Elles se sont également intéressées aux rituels des mineurs, à l’extérieur et dans les entrailles terrestres. Entre artisanat et industrie, low-tech et infrastructures de grande ampleur, l’exploitation des milieux souterrains ne doit cependant pas occulter d’autres pratiques, plus confidentielles dans les publications comme les pratiques relatives à l’exploration scientifique (archéologie, spéléologie, vulcanologie, médecine) ; les sports extrêmes, les loisirs et plaisirs emprunts d’adrénaline et d’un certain goût du risque ; ou encore la conservation alimentaire, le tourisme, le goût du « sauvage », sans oublier les initiations et les ermitages (cénobites ou anachorètes), la création artistique et la performance.

Si les abstractions métaphoriques relient les mondes lointains et mystérieux – les terrestres et ceux de l’esprit –, ce numéro de Techniques & Culture propose de les envisager empiriquement comme des milieux sensibles situés à une certaine distance en dessous de la surface. Des milieux qui génèrent un confinement, imposant d’autres conditions d’existence à ceux qui les explorent, les visitent, les habitent ou les exploitent. L’effet de confinement, voire de claustration, est un aspect essentiel de l’exploration et de l’habitation de cavités dites naturelles, de celles établies pour l’exploitation des ressources, ainsi que de celles créées de toutes pièces, comme les sous-marins, les stations polaires ou les navettes spatiales qui partagent certaines de leurs qualités atmosphériques.

Ce numéro invite dès lors à réfléchir, à partir des « cavités » anthropisées, à tout ce que ces confinements supposent en termes d’aménagement, d’engagement, de mise en valeur et de mode de vie. Il s’agit de décrire et de penser les manières dont ces milieux confinés stimulent différents genres de techniques :
– des techniques du vide à peupler : exploration, mise à l’épreuve et initiations, conservation et stockage, refuge… ;
– des techniques du plein à excaver ou extraire : activité minière, archéologie, recherche de matériaux (minéraux, souffre, lave, glace, végétaux, animaux…), de vestiges, de récits et de légendes (animaux mythiques).

Il s’agit d’étudier ces techniques en contexte. C’est-à-dire en tenant compte des paysages, des rituels, des marchés, des sciences, du design ou encore du patrimoine. En allant au-delà des a priori, il s’agit de questionner les notions mêmes de « vide » et de « plein » en laissant émerger des aspects tels que les intensités, les fréquences, les densités, les concentrations que présentent le sol et, par comparaison, l’eau ou l’espace, ces espaces à teneur raréfiée en dioxygène mais peuplés d’autres éléments ou d’autres êtres.

Date limite de réception des propositions : 8 novembre 2019
Consulter l’appel dans son intégralité, – calendrier, conditions de soumission, bibliographie indicative -, sur le blog de la revue : https://tc.hypotheses.org/3168

Image : Joos de Momper, Paysage avec grotte, vers 1600 (wikipedia).