Appel à contributions pour le n°33 de L’Année du Maghreb « Nouvelles puissances politiques du cinéma. Approches comparées et historicité des pratiques contemporaines », coordonné par Marie-Pierre Bouthier (Université Montpellier 3) et Salima Tenfiche (Centre Norbert Elias/EHESS). Date limite 30 janvier 2024.

Depuis une quinzaine d’années en effet, les cinémas du Maghreb refont surface sur la scène internationale et frappent par leur effervescence, leur créativité et leur diversité. Une nouvelle génération de cinéastes et de producteurs imposent des films qui se distinguent par une liberté de ton, une innovation formelle et narrative, et une nouvelle puissance politique qui rompent radicalement avec les traditions cinématographiques locales d’une part et qui les placent d’autre part au premier rang du cinéma international contemporain. Dans les festivals les plus prestigieux du monde (Cannes, Venise, Berlin, Locarno, Toronto), circulent désormais les noms de Tariq Teguia, Hassen Ferhani, Sofia Djama, Karim Moussaoui, ou encore Adila Bendimerad et Amin Sidi Boumediene pour l’Algérie ; ceux de Leila Kilani, Hicham Lasri, Kamel Hachkar, Ali Essafi, Hakim Belabbès, Myriam Touzani, Faouzi Bensaïdi, ou encore Nadir Bouhmouch, Asmae el Moudir ou Alaeddine Aljem pour le Maroc ; et ceux de Khaouter Ben Hania, Ala Eddine Slim, Mehdi Barsaoui, Leila Bouzid, Youssef Chebbi, ou encore Hamza Ouni pour la Tunisie, pour ne citer que les plus célèbres d’entre eux.

Profitant de la révolution numérique et circulant souvent d’une rive à l’autre de la Méditerranée, ces cinéastes sont portés par un contexte d’effervescence et de mutation politique et sociale propre à chaque pays : celui de la fin de la guerre-civile (1992-2002) en Algérie puis du Hirak de février 2019 à mars 2020, qui a mis fin au régime d’Abdelazziz Bouteflika ; celui de l’accession au trône de Mohammed VI en 1999 et de l’instauration de l’Instance équité et réconciliation en 2004, supposée ouvrir le dossier des violences politiques perpétrées sous le règne précédant ; et celui de la transition démocratique entamée en 2011 en Tunisie depuis la chute de Ben Ali. Mais 2011 est une déflagration politique pour l’ensemble de la région, du monde arabe (voire du monde) bien au-delà des seules frontières de la Tunisie et des limites du « Mouvement 20 février » au Maroc. Tout semble devenir possible. Certains films résultent de tournages improvisés, parfois clandestins, avec un matériel plus léger et mobile. D’autres délaissent le réalisme strict des anciens pour explorer les territoires du montage, de la poésie orale et de l’imaginaire mieux à même d’exprimer un ancrage dans le contemporain et une expérience renouvelée de l’histoire et des cultures populaires. Les films de cette nouvelle génération renouvellent autant les formes et les écritures cinématographiques du politique que les dispositifs de tournage et les modalités de production (collectifs autonomes, auto-production, petits budgets, co-productions internationales. Plusieurs cinéastes profitent de cette nouvelle ère en cours pour proposer un cinéma social et offrir une visibilité aux marges de la société maghrébine, ainsi qu’à certains épisodes tabous de l’histoire récente de chaque pays (la guerre civile en Algérie, le règne d’Hassan II au Maroc, le régime de Ben Ali en Tunisie).

Pour tenter d’appréhender ce phénomène cinématographique et les perspectives politiques qu’il déploie, il s’agira d’analyser ce cinéma comme produit et reflet des mutations sociales, mais aussi comme acteur potentiel du changement politique et du processus démocratique dans la région. Ce dossier spécial se proposera de croiser les regards et les approches, afin de saisir en quoi ces films accompagnent ou préfigurent les changements sociaux en cours ; mais aussi dans quelle mesure les cinéastes de cette nouvelle génération rompent avec le cinéma classique maghrébin, tout en s’insérant dans une continuité de pratiques avant-gardistes au Maghreb, qu’il s’agisse des explorations autour des traditions populaires, de la porosité entre fiction et documentaire, de l’introduction de nouvelles techniques (montage, caméra légère, etc.). Nous souhaiterions rendre visible cette continuité à la fois sur le plan diachronique dans la région, mais aussi sur le plan synchronique à partir d’une approche comparée avec les pratiques et les films du reste du monde.

 

 

Image extraite du film Rome plutôt que vous du réalisateur Tariq Teguia, 2006.