Appel à proposition d’articles pour le n°42 de la revue Culture & Musées, « De l’entreprise au musée », qui sera publié sous la direction d’Isabelle Cousserand-Blin (maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication et directrice de l’IUT Bordeaux Montaigne) et Aziza Gril-Mariotte (maîtresse de conférences en histoire de l’art à l’Université de Haute-Alsace et chercheur au CRESAT). Le numéro paraîtra en décembre 2023.
La date limite d’envoi des propositions est le 30 septembre 2022.

Les musées et les entreprises entretiennent des liens étroits, un phénomène ancien qui a connu un développement important ces dernières années lorsque certains secteurs – luxe, industrie, alimentaire – ont voulu valoriser leur patrimoine et leur savoir-faire en ouvrant des musées. Pour de nombreux secteurs, le musée d’entreprise est une vitrine du savoir-faire et un lieu de créativité, un phénomène avéré qui montrent que les relations entre les musées et les entreprises ne reposent pas seulement sur la conservation de productions au moment où elles ne sont plus fabriquées. Cet appel à contributions a l’ambition de comprendre les enjeux culturels, patrimoniaux et économiques qui se jouent dans cette rencontre entre le monde de l’entreprise et celui du musée.

 

Argumentaire

Depuis longtemps, les musées et les entreprises entretiennent des liens étroits . Ce phénomène remonte aux manufactures royales et aux musées qui y sont liés (Sèvres, Gobelins, La Monnaie de Paris etc.). Au XIXe siècle, l’essor de l’industrie amplifie ces relations et les musées des arts décoratifs en sont souvent des survivances. En France, l’Union centrale des arts décoratifs ou en Angleterre, le Victoria & Albert Museum, illustrent cette relation où le musée sert de faire valoir à l’excellence des productions artisanales et industrielles. Les expositions nationales des produits de l’industrie, puis les expositions universelles internationales, les présentations des productions manufacturières ont été autant de moments où l’industrie a été mise en scène dans une scénographie muséale. Des volontés de pérennisation engagent les sociétés savantes et les chambres de commerce à imaginer leur musée ou à en soutenir l’émergence : Musée des tissus à Lyon, Musée de l’impression sur étoffes à Mulhouse, Musée d’art et d’industrie à Saint-Etienne, en sont des exemples qui ont perduré. Le musée industriel, s’il n’a peut -être pas toujours connu la postérité escomptée, a contribué à un récit , voire à une épopée.

Il y a toute une histoire à revisiter les relations entre l’entreprise et le musée , où l’exposition magnifie les productions, où le musée s’inscrit dans une stratégie de valorisation. Bien des collections ont été constituées, soit par le comité d’entreprise, soit par des dirigeants mécènes, donnant lieu à une valorisation plus ou moins permanente auprès des visiteurs. C’est parfois l’entreprise qui entendre constituer des collections témoins de ses productions, comme dans le cas de Cartier. Plus souvent c’est un patron passionné de tel ou tel sujet qui crée son espace d’exposition (Fondation Blachère et l’art contemporain africain). Si l’entreprise peut s’inviter au musée, c’est parfois l’inverse qui est vrai. Le musée avec ses collections matérielles ou immatérielles peut également investir l’espace de l’entreprise. Des résidences d’artistes peuvent avoir lieu en partenariat dans de « petit musée », comme le musée-atelier du Feutre de Mouzon en partenariat avec l’usine locale, ou au sein des entreprises qui deviennent des lieux d’expositions.

Les entreprises se valorisent dans les musées mais aussi en créant des espaces muséaux ou des musées dans lesquels sont mis en lumière leurs productions. Associés à des formes de tourisme industriel, ces lieu x, qui ne revendiquent pas toujours l’appellation musée , peuvent être perçus comme un marqueur identitaire fort d’un territoire, visent la conservation d’une certaine mémoire(communautaire, technique, de savoir -faire, etc.), que le secteur soit en péril , disparu ou en mutation.Ils peuvent aussi s’inscrire dans une volonté de magnifier une activité, contribuent à ennoblir certains produits, affirment ou réaffirment l’excellence d’un savoir -faire , sa rareté ou son unicité. Les exemples sont nombreux, du musée du chapeau au musée du papier en passant par le CNAM, du musée du papier peint aux innombrables musées textile s. Le patrimoine industriel est alors convoqué(Hachez-Leroy et André, 2011). Nombre de musées de société sont ainsi nés ou sont en partie liés avec des secteurs d’activités, tel le MusVerre de Trelon. Ce sont de véritables musées-ateliers qui mettent en œuvre les procédés de fabrication et les exposent. Si le point de vue des ingénieurs peut être prédominant pour expliquer les modes de fabrication, à l’exemple de l’Académie François Bourdon, des approches humaines et sociales viennent dans les meilleurs cas compléter le tableau (Jacomy, 1990). Les domaines représentés sont étendus, de l’alimentaire à l’automobile, des vins et spiritueux aux arts de la table… Il peut s’agir aussi de lieux à dimension générique créés par des groupes industriels qui s’appuient sur une thématique spécifique (Alimentarium à Vevey ou Lactopôle à Laval). Ouverts à un large public ou réservés à un public plus confidentiel, ils peuvent prendre diverses formes, du showroom à l’espace VIP, de la visite d’entreprise complétée par un espace à caractère muséographique à l’entreprise devenue musée car son activité a cessé.

Pour de nombreux secteurs, le musée d’entreprise est une vitrine du savoir-faire et un lieu de créativité, un phénomène en nette augmentation dans les secteurs de la mode et des arts manufacturés, ou par exemple l’industrie horlogère suisse (Courvoisier, 2010). Une pratique qui s’est développée depuis une dizaine d’années, même si dans de nombreuses entreprises, le musée ne répond pas toujours aux critères établis par l’ICOM (International Council of Museums) en conservant, étudiant, enrichissant et présentant au public une collection. L’enquête menée par Isabelle Cousserand a montré leur hétérogénéité et la difficulté à définir ces lieux dans le monde muséal (Cousserand, 2009), lorsque l’entreprise elle-même crée son musée.

Les motivations peuvent alors être multiples, volonté mémorielle et patrimoniale, nécessité de conserver et valoriser archives, collections et savoir -faire se cumulent avec un facteur communicationnel pour promouvoir une histoire industrielle qui s’inscrit dans la durée . Là encor e le lien à la mise en scène et à la représentation crée des points communs avec les origines du musée (De la Broise, 1996 et Gellereau, 2005).

Pour autant les relations entre les musées et les entreprises ne peuvent se limiter à une perception dans laquelle le musée aurait pour fonction de conserver des productions au moment où elles ne sont plus fabriquées. C’est toute la complexité du statut qu’acquière l’objet contemporain lorsqu’il entre au musée selon un processus de sélection par le marché de l’art ou par la donation d’une entreprise.L’exemple des musées de mode et leurs fondations privées montre que les collections sont constituées à partir d’acquisitions et de dons de pièces anciennes, mais également de donations faites par de grandes marques dont la présence dans un musée renforce l’attractivité. Le cas des maisons de luxe s’inscrit dans un double phénomène : celui de la patrimonialisation au sein de musées spécialisés – arts décoratifs ou mode – et plus récemment à l’intérieur même des entreprises qui créent leur conservatoire dont le fonctionnement doit beaucoup au monde muséal. Cet exemple pose la question du rôle que les musées peuvent avoir comme modèle de gestion du patrimoine d’une entreprise dans une période où la question de l’ancienneté d’une marque est aussi un facteur de valeur économique et sociale. Si le secteur du luxe est particulièrement sensible à ces questions (ex. Comité Colbert), d’autres secteurs industriels ont également choisi de conserver leur patrimoine à la fois pour des raisons économiques et comme un outil marketing.

Plus récemment la question des publics et de la médiation a aussi donné lieu à des expérimentations qui témoignent des relations et des influences entre le monde muséal et le monde entrepreneurial. La conséquence la plus visible est par exemple l’organisation de visites guidées au sein des entreprises désireuses de faire connaître leur savoir -faire. La valorisation des métiers d’art, des pratiques artisanales et de l’innovation industrielle, notamment avec l’engouement pour le made in France, ont favorisé ces parcours de médiation où les visites d’entreprise peuvent se coupler avec la visite du musée local ou du musée de l’entreprise. Mais les musées sont aussi parfois critiqués lorsqu’ils proposent des expositions consacrées à une industrie ou une entreprise dont le mécénat important rend la frontière tenue entre exposition scientifique et opération marketing.

 

Illustration : Bourse de Commerce, Pinault Foundation, Paris