Appel à contributions pour un dossier thématique de la revue en ligne Anthropologie & Santé, « Les technologies du care en santé », coordonné par Eric Dagiral (Cerlis/Université de Paris), Benjamin Derbez (Cresppa-CSU/Université Paris 8), Ashveen Peerbaye, (Lisis/Université Gustave Eiffel), et David Saint Marc (Centre Emile Durkheim/IRTS de Nouvelle Aquitaine). Le numéro est à paraître à paraitre en novembre 2022.
Date limite pour l’envoi des propositions : 1er mars 2021.

« Une anthropologie des soins est-elle possible, qui ne fasse pas que répercuter les oppositions cure-care ? » (Saillant et Gagnon, 1999). Le souci de ne pas réduire les sens du soin à une dichotomie figée entre, d’un côté, le traitement biomédical ponctuel de la maladie et, de l’autre, l’attention aux besoins de la personne souffrante dans la durée, s’est exprimé de multiples manières ces dernières années en anthropologie de la santé. De nombreux auteurs ont tenté de montrer que la description des pratiques de soin les plus innovantes conduisait à dépasser l’idée selon laquelle la biomédecine aurait « relativement peu à voir avec le soin » (Kleinman et Van der Geest, 2009). Parmi eux, certains se sont plus particulièrement intéressés au rôle des technologies dans la relation de soin. A l’encontre de l’idée selon laquelle « le care était à l’opposé des technologies » (Mol, Moser, Pols, 2010), ils ont montré que ces dernières pouvaient être considérées comme des supports invisibilisés de pratiques de care (Pols, 2012). En ce sens, la nécessité de s’intéresser à la dimension matérielle des pratiques sanitaires contemporaines et à la place d’une grande variété de dispositifs techniques – très récents comme bien plus anciens – dans la relation de soin n’est plus à démontrer (Puig de la Bellacasa, 2017 ; Buse et al. 2018 ; Tantchou, 2018). Si le prisme des matérialités permet de comprendre de quelles manières le soin, de soi et des autres, passe « à travers les choses » (Puig de la Bellacasa, 2011), il convient cependant de s’interroger aussi sur la manière dont les innovations technologiques (télémédecine, médecine génomique, reporting, e-santé, self-care, etc.) contribuent à perpétuer, renforcer, redistribuer ou renverser les relations entre les différents acteurs du soin. Souvent présentés comme des supports d’autonomisation des individus et des collectifs, ne sont-ils pas aussi créateurs de formes d’interdépendance moins visibles ? Ces nouveaux objets ou dispositifs n’occasionnent-ils pas toutes sortes de remaniements dans les relations de pouvoir entre soignants et soignés ? En quoi l’irruption d’enjeux techniques, scientifiques ou commerciaux conduit-il, à travers ces technologies, à redéfinir les relations de soin ? En interrogeant les relations de soin au prisme des innovations technologiques, l’objectif de ce numéro est de mieux comprendre les évolutions contemporaines du travail de care en santé.

Les propositions d’articles devront être fondées sur des enquêtes empiriques originales menées sur des terrains variés liés à la santé, la maladie, le vieillissement et le handicap, en France comme à l’étranger. Elles sont invitées à se situer plus spécifiquement dans l’un (ou plusieurs) des axes suivants :

 

1 – Technologies du care et autonomie

A l’ère du numérique et des technologies connectées, de la miniaturisation et des nanotechnologies, nombre d’innovations apparaissent comme des outils souples offrant aux individus de nouvelles ressources pour mieux vivre au quotidien, notamment en cas de maladie chronique (Mol, 2009). Que ce soit dans le domaine de l’assistance à l’autonomie des personnes âgées, des traitements ambulatoires oraux en médecine personnalisée du cancer, ou des outils connectés de self-tracking à visée préventive, les innovations biotechnologiques sont de plus en plus intégrées à la vie des individus, malades ou non, pour les aider à gérer leur état de santé hors les murs de l’hôpital.

Souvent ajustés aux personnes et individualisés, ces dispositifs visent l’autonomie tout en produisant de nouvelles médiations ainsi qu’en promouvant des formes de systématisation de l’attention et du care. Les outils de communication en réseau contemporains, qu’ils soient propres aux univers médicaux ou génériques et grand public, permettent également à des collectifs de malades de se créer, de développer des formes d’auto-support, mais aussi de construire des connaissances afin de susciter une attention sociale et politique plus grande (Rabeharisoa, Akrich et Moreira, 2014). Comment ces nouveaux instruments bouleversent-ils les frontières entre professionnels et profanes, modifient-ils les mandats des spécialistes et créent-il de nouveaux espaces de choix dont les malades peuvent se saisir ? Quelles sont les modalités actuelles comme émergentes de cette pluralité de formes du care, y compris à distance ?

 

2 – Les ambivalences du care technologique

Ces modes de « surveillance » et de « sous-veillance », au plus proche et/ou à distance, se déclinent sur le mode de l’automatisation. De plus en plus de travaux rappellent que la sollicitude du care, que ce soit pour les enfants ou les personnes âgées par exemple, n’est pas réductible à une forme d’attention angélique et abstraite – « veiller sur », même de manière bienveillante, c’est aussi « surveiller » (Vozari, 2012). De même, prendre soin peut impliquer une « distance » humaine tout autant qu’une « proximité des technologies » (Pols, 2012). La relation d’aide « bien-traitante » peut être compatible avec certaines formes de « contrainte » (Hennion et Vidal-Naquet, 2015). Comment désigner et comprendre ces formes de care paradoxal (Derbez, 2018) ? En quoi les intérêts économiques des acteurs de l’innovation technologique peuvent-ils parfois avancer de concert avec des préoccupations de nature éthique, liées à la personnalisation des soins, ou politique, en lien avec l’efficience des systèmes de santé et la normalisation des comportements ? Comment s’articulent, du côté des concepteurs des technologies, les dispositifs issus des mondes de la médecine et ceux portés par les acteurs du numérique et des biotechnologies ?

 

3 – Travail d’équipement et care envers les technologies de soin

Si les technologies constituent des supports permettant de « maintenir, perpétuer et réparer notre ‘monde’ » (Tronto, 2009), elles y parviennent la plupart du temps au prix d’un travail complexe visant à les rendre ajustées à des situations toujours locales et spécifiques. Comment cette mise en adéquation des technologies aux contextes s’effectue-t-elle, notamment à travers du travail d’équipement (Vinck, 2009) ? La multiplication des technologies d’enregistrement et de suivi requiert un souci et un travail souvent invisible d’appropriation – pour régler, paramétrer, entretenir, décoder, transmettre… – inhérent à toute possibilité d’usage. Comment les « scripts » qu’incorporent les technologies sont-ils performés voire déjoués en situation par les usagers, et avec quelles conséquences ? Comment les différentes interventions autour des technologies sont-elles organisées, et le cas échéant invisibilisées, afin de rendre possibles des activités de soin ? Ce travail intense et continu de maintenance (Denis et Pontille, 2015), que requièrent les technologies du care, confère-t-il une forme de pouvoir à de nouveaux acteurs dans la relation de soin et est-elle susceptible fournir de nouvelles prises pour les malades et leurs proches dans cette relation ?

 

Modalités de soumission et calendrier

Les propositions de contribution comprendront un titre et un résumé de 500 mots maximum.
Elles devront être envoyées aux coordinateurs du numéro avant le 1er mars 2021 aux adresses suivantes :
eric.dagiral@parisdescartes.fr
benjamin.derbez@univ-paris8.fr
ashveen.peerbaye@univ-eiffel.fr
d.saint-marc@irtsnouvelleaquitaine.fr

Les articles sélectionnés à l’issue de cette étape (courant mars) devront leur être adressés avant le 30 juin 2021. Ils seront alors transmis à la rédaction d’Anthropologie & Santé et évalués selon la procédure habituelle de double évaluation externe et anonyme.
La publication de ce numéro est prévue pour novembre 2022.
Les articles acceptés pour publication pourront être mis en ligne avant cette date dans la rubrique dédiée de la revue.

 

Bibliographie

Buse C., Martin D., Nettleton S, 2018, « Conceptualising ‘Materialities of Care’: Making Visible Mundane Material Culture in Health and Social Care Contexts », Sociology of Health & Illness, 40(2), p. 243–255.

Denis J., Pontille D., 2015, « Material Ordering and the Care of Things », Science, Technology, and Human Values, 40 (3), pp. 338-367.

Derbez B., 2018, « Les paradoxes du care dans les essais cliniques de phase I en cancérologie », Sciences sociales et santé, 36(1), p. 5-29.

Hennion A., Vidal-Naquet P., 2015, « La contrainte est-elle compatible avec le care ? », ALTER, journal européen de recherche sur le handicap. En ligne.

Kleinman A. et Van Der Geest S., 2009, « ‘Care’ in Health Care. Remaking the Moral World of Medicine », Medische Anthropologie, 21(1), pp. 159-167.

Mol A., 2009, Ce que soigner veut dire. Repenser le libre choix du patient, Paris, Presses des Mines.

Mol A., Moser I., Pols J., 2010, Care in Practice: On Tinkering in Clinics, Homes and Farms, Transcript-Verlag.

Pols J., 2012, Care at a distance. On closeness of technology, Amsterdam, Amsterdam University Press.

Puig de la Bellacasa M., 2011, « Matters of Care in Technoscience: Assembling Neglected Things », Social Studies of Science, 41(1), pp. 85-106.

Puig de la Bellacasa M., 2017, Matters of Care: Speculative Ethics in more than Human World, Minneapolis: University of Minnesota Press.

Rabeharisoa V., Akrich M. et Moreira T., 2014, « Evidence-based Activism », BioSocieties, Dossier thématique, 9(2).

Saillant F. et Gagnon E., 1999, « Vers une anthropologie des soins ? », Anthropologie et Sociétés, vol. 23, no 2, pp. 5-14.

Tantchou J., 2018, « The Materiality of Care and Nurses’ “Attitude Problem” », Science, Technology, & Human Values, 43(2), p. 270-301.

Tronto J., 2009, Un Monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte.

Vinck D., 2009, « De l’objet intermédiaire à l’objet-frontière. Vers la prise en compte du travail d’équipement », Revue d’anthropologie des connaissances, 3(1), p. 51-72.

Vozari A-S., 2012, « Surveiller pour “veiller sur” en protection maternelle et infantile », in : Y. Knibiehler et al. (dir.), La maternité à l’épreuve du genre, Rennes, Presses de l’EHESP, pp. 109-116