Appel à contributions pour les 3es Journées d’étude du réseau SHS-Pesticides « Exposer, s’exposer, être exposé aux pesticides, au prisme des SHS », qui se tiendront les 17 et 18 mars 2022, à Bordeaux (Cap Métiers, Pessac).
Date limite de réception des propositions : 30 novembre 2021.

Comité d’organisation
Carole Barthélémy, Eve Bureau-Point, Jacqueline Candau, Nadège Degbelo, Alain Garrigou, Ludovic Ginelli, Fabienne Goutille, Elisabeth Lambert

Laboratoires impliqués
Centre Norbert Elias (UMR8562- CNRS/EHESS/Avignon Univ./AMU)
Laboratoire Population Environnement Développement (UMR151 – AMU/IRD)
Unité de recherche Environnement Territoires Infrastructures (ETBX – Inrae Nouvelle-Aquitaine)
Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (SAGE – CNRS/UNISTRA)
Épidémiologie des cancers et Expositions environnementales (EPICENE UMR 1219  – Inserm/Isped/Univ Bordeaux)
Département Hygiène, Sécurité & Environnement (IUT de Bordeaux – Université de Bordeaux)

Argumentaire

Le réseau SHS/Pesticides, créé en février 2020 pour mieux connaître et faire connaître la recherche en sciences humaines et sociales sur les pesticides, lance ses troisièmes journées d’étude. Elles se tiendront les 17 et 18 mars 2022 à Bordeaux sur le thème de l’exposition.

La notion d’exposition est centrale dans le domaine de l’utilisation des pesticides et des risques associés. Elle permet de comprendre les effets délétères des pesticides sur la santé. Elle a été appréhendée par les épidémiologistes et les toxicologues dans le domaine de l’hygiène industrielle puis de la santé publique (Galey, 2019). Elle tend également à l’être par les écologues au sein de ce qu’on appelle aujourd’hui « une seule santé » ou « one health » qui appréhende les interrelations entre santé humaine, animale et environnementale.

Dans le cadre de la santé humaine, l’exposition permet de constater une corrélation et d’établir un lien de causalité entre une molécule et une pathologie précise sachant que la plupart des pathologies, en particulier chroniques, sont multifactorielles. L’approche de type exposome (concept introduit en droit français en 2019 à l’art. 1411-1 Code de la santé Publique) prend en compte les différentes périodes durant la vie d’un individu, de la conception à la mort, et incorpore l’environnement chimique, microbiologique, physique, récréatif, ainsi que le style de vie et l’alimentation (Jégou, 2020). Des recherches intègrent également la période prénatale en tenant compte de l’exposition professionnelle ou domestique des parents (Baldi et al, 2021). Dans le cadre de la santé des écosystèmes, la nécessité d’étudier de manière conjointe les effets de plusieurs polluants y compris pour des faibles doses s’affirme de plus en plus et des réflexions sont en cours sur l’intégration du concept d’exposome pour la biocénose. Des approches intégrées, complexes et dynamiques sont développées.

Si des appels à plus de transversalité et de pluridisciplinarité traversent ces disciplines, ce n’est pas encore le cas concernant le traitement réglementaire et administratif de la notion d’exposition. Ainsi, si on s’intéresse au cadre réglementaire français, la démarche de « validation scientifique » étant fondée sur des connaissances issues de l’evidence-based medicine, seules certaines données sur les expositions des humains aux pesticides sont intégrées aux politiques de gestion des risques (Thébaud-Mony, 2012). L’épidémiologie descriptive, les travaux relevant de l’ergonomie et de la clinique du travail, ainsi que des formes de savoirs issus de collectifs de travail ou d’initiatives citoyennes sont marginalisés, dévalorisés et/ou ignorés (Counil & Henry, 2018). Jean-Noël Jouzel (2019) montre que dans les procédures d’expertise qui sous-tendent les politiques publiques dans le domaine (autorisation de mise sur le marché, politiques de prévention, etc.), l’un des principaux obstacles à la mise en lumière des risques des pesticides réside dans le recours privilégié à la toxicologie classique, laissant de côté l’épidémiologie et tout ce qui touche aux risques favorisés par l’exposition indirecte aux pesticides (entrée en contact avec des surfaces et des environnements contaminés). Les cadrages scientifiques et institutionnels de l’étude de l’exposition aux pesticides sont donc multiples, controversés et instables.

Dans le contexte des sciences humaines et sociales, la notion est bel et bien mobilisée, mais le plus souvent sans être définie. À quoi renvoie-t-elle ? Que dit-elle de plus que la notion de risque ou d’intoxication ? Certain·e·s l’évoquent dans leurs travaux sur les risques sanitaires auxquels sont exposés les travailleur.euse.s agricoles, d’autres dans le cadre d’études sur la réglementation de ces risques, montrant des situations de travail intenables pour les agriculteur.trice.s, ou encore dans le cadre de travaux sur la production de l’ignorance. D’autres travaux soulignent les corrélations entre profils socio-ethniques, les conditions de vie des ouvrier.ère.s agricoles et l’exposition. Dans les études nord-américaines coordonnées par l’anthropologue-médecin Thomas Arcury et l’épidémiologiste Sara Quandt, une catégorisation des différents types d’exposition est proposée en fonction des lieux où elles surviennent (exposition professionnelle, paraprofessionnelle, domestique) et du type de contact direct ou indirect (Arcury et Quandt, 2009). Cette typologie de l’exposition en sciences sociales rend compte de la trajectoire complexe, continue et multifactorielle de l’exposition.

La notion étant peu problématisée et conceptualisée en sciences humaines et sociales, nous souhaitons lors de ces journées voir si une définition distincte des approches en épidémiologie, toxicologie et écologie est possible, et à partir de quels outils analytiques. L’hypothèse, que nous soumettons au débat, est que la démarche des SHS permet d’élaborer ou co-élaborer des perspectives intégrées et dynamiques. Pour cela, nous proposons de déconstruire la notion sous trois angles, qui distinguent différentes actions : exposer (fabriquer, autoriser, vendre et utiliser un produit ou un mélange susceptible de générer une exposition, de soi ou des autres), et/ou s’exposer (acheter et/ou utiliser un produit) et/ou être exposé (être soumis à des risques sans forcément en être un acteur direct). Ces déclinaisons de l’exposition, non exclusives les unes des autres, permettent de questionner le sujet du point de vue d’une chaîne d’acteur.trice.s hétéroclites impliqués dans la fabrique de l’exposition (des acteurs de la fabrication au consommateur exposé aux résidus de pesticides), tout en tenant compte d’une trajectoire spatiale et temporelle (les lieux successifs où se fabrique l’exposition dans le temps), ainsi que des enchevêtrements entre ces différents « mondes ». Ceci ouvre différents niveaux d’analyse macro/meso/micro à articuler. Cela permet de rendre compte du caractère dynamique, complexe et multi-acteurs de la fabrique de l’exposition, tout en tenant compte des interactions des humains avec l’objet « pesticides » et l’écosystème. Deux grands sous-thèmes, présentés ci-dessous, sont proposés pour approfondir ces questions. Ils mettent l’accent sur les questions de capabilité, de responsabilité, de vulnérabilité, de résilience et d’inégalité sous-jacentes à l’exposition aux pesticides.

Inégalités sociales, vulnérabilités au travail et résilience des acteurs

Les interférences entre organisation concrète des activités, application des normes réglementaires et profil sociologique des travailleur.euse.s méritent d’être approfondies afin de mieux comprendre ce qui favorise l’exposition de certaines catégories de travailleur.euse.s ou au contraire ce qui les aide à se prémunir du risque. Les propositions attendues pourraient rendre compte de la dimension sociale de l’exposition en questionnant les facteurs socio-professionnels et réglementaires qui influent sur l’exposition au travail. Comment les vulnérabilités sociales des travailleurs alimentent les vulnérabilités professionnelles et vice versa ? Il serait à ce titre intéressant d’explorer le lien entre vulnérabilités et inégalités sociales. À ce sujet, les travaux portant sur le cumul de l’exposition aux pesticides avec d’autres formes d’inégalités sociales et professionnelles ou qui étudient l’exposition aux pesticides comme une « inégalité environnementale » sont attendus. À ce titre, les inégales capacités/ressources individuelles et collectives à devenir acteur.trice.s de son exposition sont particulièrement intéressantes à interroger. Comment se construire en tant qu’acteur.trice.s lorsque la gestion du risque pesticides relève d’une politique dite « d’usage contrôlé » où les pouvoirs publics et les autorités sanitaires définissent un « risque acceptable » et des « bonnes pratiques » d’utilisation (notamment le port d’équipements de protection individuelle – EPI)? Ces normes de sécurité définies par les experts sont-elles adaptées à la complexité des situations réelles de travail ? Comment une telle individualisation de la responsabilité de l’exposition interfère pour penser collectivement le risque chimique dans les collectifs de travail (entre pairs, entre employé.e.s et employeur.e.s et autres relations hiérarchiques) et dans les relations travail – hors travail (entre exploitant.e.s et riverains, entre travailleur.euse.s et résident.e.s de l’exploitation, etc.) ? Comment cette individualisation est-elle dépassée pour donner forme à des actions collectives et selon quelles configurations : collectifs de victimes encore rares mais de plus en plus nombreux, regroupement de personnes qui s’exposent et de personnes exposées, de riverains et de travailleur.euse.s ? Cette dernière association est rendue difficile en France par la séparation entre santé au travail et santé environnementale (au sens de facteurs environnementaux générateurs de pathologies humaines) depuis le XIXe siècle (Bécot et al., 2021), qu’en est-il dans les autres pays ? Pour mieux comprendre et transformer les expositions aux pesticides nous proposons de les interroger dans leurs flux et dans le flux des activités humaines (de la fabrication des pesticides à la gestion des effluents). Nous souhaitons ainsi étudier lors de ces journées les différents déterminants de l’exposition aux pesticides : ceux qui se construisent dans les situations de travail (manipulation des produits phytopharmaceutiques, configuration architecturale, dispositif technique), à l’échelle de l’exploitation (co-activité professionnelle, familiale, civile) et plus largement à l’échelle des territoires (encadrements sociaux et réglementaires de l’usage, localisés nationalisés et internationalisés).

Alimentation et exposition

Les débats qui entourent l’usage des pesticides dans la production agro-alimentaire se sont intensifiés ces vingt dernières années avec des affaires très médiatisées comme le Fipronil dans les œufs, les résidus de glyphosate ou plus récemment l’affaire de l’oxyde d’éthylène (Jas, 2008 ; Jouzel, 2019). La problématique centrale est donc celle d’une exposition, au produit concerné bien sûr, mais également aux informations adossées au produit. Ainsi, des propositions sont attendues en lien avec les questionnements suivants : sur quelles données le problème de l’exposition des consommateur.trice.s aux pesticides est-il construit ? Comment émergent les outils qui président l’expertise du problème (niveau acceptable d’exposition, doses journalières acceptables, limites maximales de résidus…), sur quels critères reposent-ils ? Dans quelle mesure les pouvoirs publics envisagent-ils et adressent-ils le problème de l’exposition des consommateur.trice.s ? Quelles responsabilités, de quel.le.s acteur.trice.s et dans quelles proportions ? Comment les études précédemment mentionnées participent-elles à un changement de pratiques et d’usages des divers acteur.trice.s de l’agro-alimentaire ? Quel rôle joue l’économie du numérique dans les changements observés sur les marchés et dans la production ? Les nouvelles applications numériques et les labels de qualité environnementale/écologique (AB, HVE,…), contribuent-ils à une meilleure transparence sur les pesticides dans l’alimentation? Comment l’exposition est-elle perçue et construite par les mangeur.euse.s ? Avec quelles conséquences sur les pratiques d’achat et de consommation alimentaires (manger local, bio, etc…) ? Cette exposition est-elle suffisamment visibilisée, le.a mangeur.euse est-il.elle adéquatement informé.e et en mesure de se détourner d’une telle exposition ?

Ainsi, ces journées permettront de mettre en lumière les différentes manières par lesquelles les SHS pensent l’exposition et la mettent en visibilité. Les pistes d’exploration de la notion présentées n’excluent pas d’autres pistes d’exploration du sujet. Les communicant.e.s pourront interroger l’exposition à travers les pratiques (consommation, travail, vie récréative, sphère domestique…), les objets (machinisme, nouvelles technologies, low-tech), les acteur.trice.s (scientifiques, réglementaires, associatifs, politiques, juristes, professionnel.le.s de santé), les valeurs (responsabilité, justice, engagement).

 

Propositions

Les contributions attendues pour ces journées pourront porter sur l’ensemble des contextes socio-économiques locaux, nationaux et internationaux. Les approches mêlant sciences humaines et sociales/sciences de l’environnement/sciences biomédicales seront appréciées.
Les propositions de communication seront envoyées sous la forme d’un résumé d’environ 400 mots accompagné d’une présentation de(s) (l’)auteur.e.s) (statuts, institution de rattachement, thèmes de recherche, adresse électronique) aux personnes suivantes : Eve Bureau-Point (eve.bureau-point@univ-amu.fr) et Fabienne Goutille
(fabienne.goutille@gmail.com).

Calendrier

Ouverture de l’appel à communication : 20 octobre 2021
Date limite de réception des propositions : 30 novembre 2021
Notification de décision : 15 décembre 2021
Journées d’étude : 17 et 18 mars 2022, Bordeaux (Cap Métiers à Pessac)
Publication : un ouvrage collectif est prévu

 

Références

Arcury T., et Quandt, S., (2009). “The Health and Safety of Farmworkers in the Eastern United States: A Need to Focus on Social Justice”, In Latino farmworkers in the Eastern United States: Health, safety and justice, SpringerLink, p. 1-14.

Baldi, I., Botton, J., Chevrier, C., Coumoul, X., Elbaz, A., Goujon, S., Jouzel, J-N, … et Spinosi, J. (2021). Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données. Inserm. Collection Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences.

Bécot, R., et al. (2021). Introduction. Pour un décloisonnement scientifique de la santé au travail et de la santé environnementale. Sociétés contemporaines 121(1) : 5-27.

Counil E., Henry E, (2018). Frontières disciplinaires et tensions entre savoirs académiques et connaissances issues du terrain dans la production de savoir et d’ignorance en santé et travail. Perspectives Interdisciplinaires sur le Travail et la Santé, PISTES, 20 (1).

Galey, L. (2019). Comprendre les situations d’exposition aux nanoparticules par l’intégration de l’activité de travail à la mesure : vers une construction de la prévention. Thèse de doctorat. Ergonomie, École doctorale Sociétés, Politique, Santé publique. Bordeaux, Université de Bordeaux.

Jas N., 2008. Pesticides et santé des travailleurs agricoles en France au cours des années 1950-1960, in Bonneuil C., Denis G. et Mayaud J.-L., dir., Sciences, agriculture, alimentation et société en France au XX° siècle. Harmattan-QUAE, p. 223-246.

Jégou, B. (2020). Le paradigme de l’exposome : définition, contexte et perspective. Medecine Science, 36(11) : 959-960.

Jouzel J.-N. (2019). Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait, Presses de Sciences Po, Paris.

Thébaud-Mony, A. (2012). « Risques industriels, effets différés et probabilistes : quels critères pour quelle preuve ? » In A. Thébaud-Mony, V. Daubas-Letourneux, N. Frigul & P. Jobin (Eds.), Santé au Travail : approches critiques, p. 21-29. Paris : La Découverte.