Cet ouvrage est le fruit de l’engagement de deux équipes, au Chili et en France, réunies autour d’un programme de recherches commun portant sur la construction nationale à l’épreuve de l’ « Étranger » : Incarnation/incorporation, reproduction et déconstruction des héritages et traumas historiques de la colonialité à l’échelle de l’État, l’individu et la nation. Durant trois ans, ce programme a interrogé les figures de l’« Étranger » à nouveaux frais, s’intéressant d’un point de vue comparatif à la façon dont elles ont historiquement et géographiquement traversé imaginaires, configurations sociales et espaces en tous points du globe, et notamment en Amérique latine et en Europe.

Apparu dès le XIVe siècle pour désigner « ce qui provient du dehors, ce qui est extérieur ; qui n’est pas de la famille, du pays, ou de la nation », le terme aujourd’hui recouvre des réalités diverses. Parfois, cette figure a surenchéri un principe d’exclusion dont les racines sont à chercher dans l’impossibilité de l’ethnicité fictive (Balibar pace Trujillo). D’autres fois, elle a fait résonner les distinctions entre dispositifs sociaux, historiques et culturels spécifiques. Si au Chili, l’équivalent extranjero dénote une catégorie de personnes originaires d’Europe et plutôt bien acceptées car ne mettant pas en échec le processus de « blanchiment » (blanqueamiento) national, les stigmates de la migration y sont reléguées à d’autres catégories de population rassemblées sous le vocable de inmigrante (« immigrant·e ») et qui en mettent en relief le caractère racialisé (Ambiado, Amigo, Bivort Salinas, Carrillo-Sánchez, Gregoreski, Tijoux). En France, « immigrés », « migrants », « sans papier » font écho à cette catégorie (Gregoreski). Ailleurs, comme en Colombie (Bénéï), c’est celle de « déplacés » internes qui s’est trouvée saturée de sens dans le conflit armé, tandis qu’en Grèce et en Bulgarie (Kokkinou), celle d’« émigrés » a présidé aux mouvements de population liés à la dictature politique. En Sicile, enfin, les catégories s’estompent dans une commune humanité, celle du traitement des morts en migration (Furri & Kobelinsky). Le décès des migrants repêchés en mer, in fine, met en lumière tout l’arbitraire de ces catégories en soulignant l’absence d’un statut clair pour caractériser celles et ceux dont le voyage d’exil a touché un terme prématuré.

 

Racismes, Corps, Attentes. Figures de la migration en contexte contemporain
Véronique Bénéï et Maria Emilia Tijoux (dir.)
Paris, L’Harmattan, Collection Inter-National, 2021.
A paraître en juin 2021.