Appel à contributions pour ces journées organisées par l’Association française de sociologie (réseau thématique 22 « Parcours de vie et dynamique sociales ») en collaboration avec la Fabrique des écritures ethnographiques (Centre Norbert Elias UMR 8562).
Date limite : 8 février 2023

La médiation artistique autant dans la phase de recueil des données que dans celle de la restitution, est de plus en plus présente dans les travaux de recherche (Bizeul, 2007). Elle soulève notamment la question de la collaboration entre l’artiste et le chercheur, et entre deux mondes sociaux avec leurs logiques propres (Szary, 2016). Le recours à la médiation artistique vise à solliciter le langage non verbal, l’imaginaire, l’émotionnel, à la fois dans la relation d’enquête et au moment de la restitution.
Si ces questions ont déjà été travaillées, cette journée d’études ambitionne de les approfondir au travers des recherches sur les parcours de vie.

 

Les enjeux des médiations artistiques

Les médiations artistiques soulèvent des enjeux à la fois méthodologiques, épistémologiques, politiques, éthiques et techniques.
Dans les démocraties épistémiques, elles posent la question de « l’éthique de la recherche, touchant à la hiérarchisation des savoirs, à l’origine des démarches de recherche, aux propriétaires ou auteurs des connaissances produites et à l’usage de celles-ci, tout autant qu’aux modalités d’échange ou de partage entre savoirs » (Schurmans et al., 2014, p. 2).
Le recours à un médium artistique change le rapport à la relation d’enquête, son utilisation peut viser à réduire la violence symbolique parfois présente dans le recueil de données, et ainsi restaurer une forme d’équilibre dans l’interaction entre le chercheur et les personnes enquêtées. C’est pour les chercheur·es, accepter de perdre du « pouvoir » dans la relation de recherche et faire l’épreuve de la décence si l’on reprend les termes de Payet (2011). Au temps de la restitution, cette préoccupation soulève la question du médium le plus adapté pour partager les résultats avec les personnes enquêtées.
Si toute restitution est portée par le souci de l’utilité et des usages des connaissances produites, cette démarche invite à s’interroger sur l’objet, la temporalité, les formes de la restitution, ainsi que ses destinataires. Les médiations artistiques proposent alors des alternatives pour donner à entendre les résultats des recherches à la société civile ; elles invitent également à la construction des savoirs, par un éventuel retour du public qui, par ses réactions devient partie prenante de l’enquête, et qui peut aussi s’inscrire dans des formes d’engagements pouvant nourrir la démarche d’enquête.

Les nouvelles formes de collaborations entre artistes et chercheurs – que l’on considère les productions théâtrales, filmiques, les podcasts, les bandes dessinées, les expositions, etc. – soulèvent la question des relations entre des mondes sociaux, aux logiques professionnelles différentes, pour lesquels les critères de validité et d’évaluation scientifiques et artistiques peuvent entrer en tension. Il semble ainsi souhaitable d’expliciter la place de l’auteur, de définir les destinataires, et les médiums. À l’instar des forums hybrides qui promeuvent des modalités de recherche collaborative en associant des experts scientifiques, des citoyens, des chercheurs de différentes disciplines et mêmes des « actants non humains », pour explorer la pluralité des mondes possibles et l’étendue des controverses (Callon, Lascoumes., et Barthe, 2001), chercheurs et artistes se trouvent « embarqués » dans une aventure commune. Dès lors, comment trouver une base d’accords entre acteurs qui n’ont ni les mêmes attentes et objectifs, ni les mêmes pratiques ?
Dans ce dialogue peuvent faire obstacles les représentations que le chercheur se fait du travail de l’artiste, comme les représentations que l’artiste peut se faire du travail de la recherche, mais aussi de ses acteurs et de sa production (Nocérino, 2016). Entrent en jeu également, les ambitions et visées de l’un.e et de l’autre, de placer son travail dans la ligne de sa propre production puisque, chacun.e espère signer une œuvre qui prendra le sens singulier qui lui importe. Ainsi le chercheur et/ou l’artiste pourrait souhaiter préserver son œuvre, ses droits d’auteur et le caractère original de ses données. Par ailleurs, « passer d’un travail scientifique à une pièce artistique demande un travail d’adaptation » (Corvin, 2003, p. 151), de traduction, de ré-interprétation. Comment transformer ou restituer les résultats d’une recherche scientifique en des représentations et interprétations artistiques ?

 

Les parcours et les médiations artistiques

Dans le cas spécifique des parcours de vie (Négroni et Bessin, 2022 ; Dubar et Nicourd, 2017), le recours aux médiations artistiques semble encore plus essentiel. Elles participent d’une autre forme de mise en récit, notamment dans le cas du recueil de paroles sensibles (CollectiF.B., 2020). Comment passer d’une matière informe dans laquelle on va découper les faits sociaux
(Veyne, 1971) à une forme, une réalité, un support de présentation ? Donner à voir une réalité implique que l’on transmette un ou des messages dévoilant en creux des rapports sociaux et des mondes en train de se construire. Aussi, la communication, lorsqu’elle veut sortir de la communauté scientifique, doit nécessairement être mise en forme. La restitution assure alors une double fonction de montée en généralité des connaissances produites, à l’articulation de l’expérience sensible et des savoirs acquis des personnes enquêtées, tout en limitant leur exposition aux risques liés à la restitution de l’enquête (jugements, stigmatisation, désagréments, etc.). Le retour réflexif du chercheur pouvant également y avoir sa place. Dans cette perspective, le recours aux médiations artistiques présente le double avantage de faciliter l’expression des participants lors du recueil de données (Armagnague, Cossée, Cossée-Cruz, Hieronimy et Lallouette, 2017 ; Robin, Mackiewicz et Ackermann, 2017) et d’incarner l’expérience sensible des enquêtés par la reconnaissance du caractère significatif de leur expérience (Lepoutre, 2001). Le médium artistique, ainsi produit, est une interface qui propose un message dans sa forme à la fois plus incisive mais aussi qui s’inscrit dans une communauté d’imaginaires partagés.

Ces journées d’études proposent ainsi de questionner les différentes façons de restituer ou de penser des recherches sur les parcours de vie à travers les éventuelles collaborations existantes ou en cours avec des artistes, ainsi que les productions innovantes en la matière. Comment rendre compte des dynamiques sociales par le recours à des médiations artistiques ? Avec quels risques de disruptions, de conflits, mais aussi quelles intentions, quels effets ?

Plusieurs axes seront envisagés dans cette journée d’études :

  • Un premier axe portera sur la nature et place de l’auteur : quel est le rôle, le statut de l’auteur, l’artiste ou le chercheur, l’artiste chercheur, ou le chercheur artiste ? Quelle marge de coopération et de négociation pour produire une telle œuvre ? Quel processus d’articulation, voire d’hybridation des savoirs ?
  • Un deuxième axe donnera un éclairage sur les enjeux de la production et de la restitution des recherches pour un public donné. Il conviendra de s’interroger : qui sont les destinataires ? Comment associer, dans cette démarche, l’ensemble des acteurs y compris les personnes enquêtées ? Quelle est la place du public ? Comment la restitution peut-elle être appropriée, transfigurée, enrichie par l’intervention du public ? Quels nouveaux objets hybrides sont ainsi produits ? À quelles nouvelles connaissances nous permettent-ils d’accéder pour rendre compte de la dynamique des parcours ?
  • Un troisième axe interrogera les formes de restitution des parcours. Quels médiums artistiques permettent de rendre compte des parcours de vie ? Quels sont leurs avantages, et quelles difficultés peuvent-ils poser ?

Ces axes sont présentés à titre indicatif et les communications proposées pourront compléter ces pistes, en abordant la phase de recueil de données par exemple.

 

Comités

Comité d’organisation
Hélène Chéronnet (Clerse/Université de Lille),
Pauline Mullner (Cerlis/Paris Descartes),
Catherine Négroni (Clerse/Université de Lille),
Pierre Nocérino (Lyer-FYT),
Catherine Pugeault (Cerlis/Paris Descartes),
Pierrine Robin (Lirtes/UPEC),
Fanny Salane (Cref/Université Paris Nanterre),
Francesca Sirna (Centre Norbert Elias/Aix-Marseille Université),
Elisa Thévenot (Doing transition/Université de Tubingen).

Comité Scientifique
Marc Bessin (IRIS/EHESS),
Marie Buscatto (IDHE.S/Paris 1-CNRS),
Véronique Benéï (Centre Norbert Elias/CNRS),
Yasmine Bouagga (Chargée d’études au DEPS-Doc),
Claire Cossé (Lirtes/UPEC),
Véronique Dimicoli (comédienne, metteure en scène),
Michel Grossetti (Lisst/Université de Toulouse),
Hélène Join-Lambert (Cref/Université Paris Nanterre),
Catherine Négroni (Clerse/Université de Lille),
Pierre Nocérino (Lier-FYT),
Marie Peretti-Ndiaye (Scop COPAS),
Boris Pétric (Centre Norbert Elias/CNRS),
Brice Portolano (Artiste photographe),
Pierrine Robin (Lirtes/UPEC).

 

Modalités de soumission des communications

Les projets de communication sont à retourner pour le 8 février 2023 au plus tard. À l’adresse suivante : je.parcours.mediations@gmail.com
Chaque proposition inclura les informations suivantes :
• Nom et prénom de l’auteur(e)
• Institution de rattachement
• Titre de la proposition
• 3 à 6 mots-clés
• Un résumé de 1500 signes

Transmission des fichiers, avec l’intitulé : RT22 Parcours/Mediationsartistiques Nom Prénom
Pour toutes questions vous pouvez également vous adresser directement aux responsables du réseau RT22 Pierrine Robin (pierrine.robin@u-pec.fr), Catherine Négroni (catherine.negroni@gmail.com)

 

Calendrier

8 février : date limite d’envoi des intentions de communication.
31 mars 2023 : retour aux auteurs.
1er avril : ouverture des inscriptions
15 mai 2023 : fin des inscriptions.

 

Bibliographie

Armagnague, M. et al., 2017 « Combiner sociologie et arts dans le recueil des données. Éléments pour une conceptualisation des méthodes artistiques dans les enquêtes qualitatives : l’exemple d’une recherche sur la scolarisation des enfants migrants ». Migrations société, vol. 29,n°167, 63-75.

Bizeul, D., 2007, « Que faire des expériences d’enquête : Apports et fragilité de l’observation directe ». Revue française de science politique, n°57, 69-89.

Callon, M., Lascoumes, P., et Barthe, Y., 2001, Agir dans un monde incertain – Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil (La couleur des idées).

Collectif F.B., 2020, Parler de soi. Méthodes biographiques en sciences sociales, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « En temps & lieux ».

Corvin, M., 2003, « L’adaptation théâtrale : une typologie de l’indécidable », Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°119-120, 149-172.

Dubar, C., et Nicourd, S., 2017, Les biographies en sociologie, Paris, La Découverte, Coll.128.

Le Guern, P., 2005, « Quand le sociologue se raconte en musicien. Remarques sur la valeur sociologique de l’autobiographie », Volume !, 4/1, 2005, mis en ligne le 15 septembre 2007.
URL : http://journals.openedition.org/volume/1682

Join-Lambert, H., 2017, « Enquête et images : recueillir le point de vue d’adolescent-e-s vivant en situation de placement », Sociétés et jeunesses en difficulté, 18, Printemps 2017.
URL : http://journals.openedition.org/sejed/8341

Lepoutre, D., 2001, Coeur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Coll. Odile Jacob.

Négroni, C., et Bessin, M., 2022, Parcours de vie. Logiques individuelles, collectives et institutionnelles, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, Coll. « Le regard Sociologique ».

Nocérino, P., 2016, « Ce que la bande dessinée nous apprend de l’écriture sociologique », Sociologie et sociétés, vol 48, n°2, 169-193.

Payet, J-P., 2011, « L’enquête sociologique et les acteurs faibles », SociologieS, Research experiments, Champs de recherche et enjeux de terrain.
URL : http://journals.openedition.org/sociologies/3629

Robin, P., Mackiewicz, M-P., et Ackermann, T., 2017, « Des adolescents et jeunes allemands et français confiés à la protection de l’enfance font des recherches sur leur monde », Sociétés et jeunesses en difficulté, 18.
URL : http://journals.openedition.org/sejed/8385

Szary, A-L. A., 2016, « Revendiquer le potentiel critique des expérimentations arts/sciences sociales. Portrait du chercheur en artiste ». AntiAtlas Journal 01.

Schurmans, M-N., et al., 2014, « Restitution et épistémologie », SociologieS?
URL : http://journals.openedition.org/sociologies/4716