[COVID19 / Evénement reporté]

Rationaliser les marchés du médicament ? Tensions historiques et mise en perspective sur la marchandise, La Vieille Charité, Marseille, 30-31 mars 2020.
Des journées d’étude organisées par Carine Baxerres (IRD/MERIT/LPED), Maurice Cassier (CNRS/CERMES3), Sandrine Musso (AMU/Centre Norbert Elias), Mathieu Quet (IRD/CEPED), Christelle Rabier (EHESS/CERMES3).

L’idée de ces journées a émergé de trois constats forts issus des recherches menées actuellement en sciences sociales sur les marchés du médicament.

Premièrement, une série de bouleversements « au Sud », dans la période post-coloniale, a été inaugurée par la construction et la croissance d’une industrie dans les pays émergents, en Asie notamment, par la création au début des années 2000 des marchés des donateurs globaux (la « Global Health »), et par l’émergence de centres de production locale en Afrique. Il en a résulté une hiérarchie des marchés pharmaceutiques, objectivée par des normes de propriété et des standards dont la construction demande à être interrogée, et une augmentation des acteurs investis dans la distribution pharmaceutique. Les politiques pharmaceutiques des pays et des régions sont, face à ces bouleversements, en effervescence, tiraillées entre exigences de santé publique et intérêts économiques, voire industriels, sur fond de polémiques largement médiatisées au sujet des « faux médicaments ».

Deuxièmement, dans le même temps, ce qu’il est convenu d’appeler la « crise de l’innovation » a reconfiguré de manière importante l’industrie pharmaceutique « au Nord », sujette de manière croissante à l’externalisation, la fragmentation et la spéculation financière. Les conséquences de cela résident dans la montée spectaculaire ces dernières années des prix de certains médicaments, mettant en cause le fonctionnement des systèmes de financement de la santé des pays, au moment où paradoxalement la Couverture Santé Universelle est brandie par des acteurs « transnationaux » (Organisation Mondiale de la Santé, Objectifs de Développement Durable, Agence Française de Développement) comme l’objectif à atteindre pour le « Global South ». Ces bouleversements économiques remettent en avant à la fois les questions de droits de propriété intellectuelle et celles de la qualité et de l’authenticité des produits, et à la fois celles de la place de la puissance publique et des mobilisations de la société civile (en France par exemple campagne de Médecins du Monde « le prix de la vie », livre blanc « médicaments et progrès thérapeutique : garantir l’accès, maîtriser les prix », et celle de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament).

Troisièmement, ces bouleversements à l’œuvre dans le domaine du médicament peuvent être décrits, certes à des degrés divers et produisant des effets sociétaux différents, au sujet de nombreuses autres marchandises globalisées (produits alimentaires, vestimentaires, mécaniques et électroniques, etc.). Aussi les chercheurs en sciences sociales de même que les acteurs de la santé publique auraient intérêt à considérer pleinement la construction marchande du médicament, aujourd’hui étendue sinon exacerbée dans le contexte néolibéral et d’un capitalisme pharmaceutique globalisé, ainsi que les outils, normes et procédures spécifiques qui s’efforcent de rationaliser ses régulations, circulations et appropriations et qui en font une marchandise singulière ou un bien essentiel.

C’est ce que nous proposons à travers ce séminaire, où nous invitons le 1er jour aux côtés d’experts du médicament, des historiens, sociologues, anthropologues et géographes de l’économie travaillant sur d’autres marchandises. L’objectif étant de se recentrer sur le médicament le 2ème jour, dans le but de réfléchir à un possible gouvernement des marchés pharmaceutiques par des critères de santé publique et d’économie sur les coûts. Nous examinerons pour cela, sur le temps long et dans différents contextes nationaux, principalement du Sud, mais aussi en discussion avec des processus à l’œuvre en Europe, plusieurs principes et outils de rationalisation des marchés (couverture des dépenses de santé, politique de médicaments essentiels, législation entourant les médicaments génériques, variations du monopole pharmaceutique).

Au-delà de la situation du médicament et des marchés pharmaceutiques, les apports du séminaire permettront ainsi de contribuer aux débats actuels sur les marchés, leurs principes d’organisation et leurs formes d’expansion (Steiner et Trespeuch, 2014 ; Tsing, 2015 ; Dubuisson-Quellier, 2016 ; Boltanski et Esquerre, 2017 ; Callon, 2017 ; Choplin et Pliez, 2018) – et ce à partir d’une vision pleinement internationale. En explorant les mécanismes qui singularisent la marchandise-médicament et qui en rationalisent le commerce transnational dans des objectifs de santé publique (utilité et efficacité thérapeutiques, accessibilité), le séminaire entend documenter les interactions entre différentes « rationalisations » des marchés. Le dialogue entre disciplines des sciences sociales (sociologie, anthropologie, histoire, géographie, économie, etc.) sera, pour cela, crucial.

 

Programme

 

Lundi 30 mars – Les transformations de la marchandise

 

Accueil à partir de 8h30 au cinéma Le Miroir

9h – 12h30 – Infrastructures et circulations des marchandises
–  Suivre la route ou repérer ses ancrages ? Dilemme géographique autour des « routes de la Soie »
Olivier Pliez (Géographe, CNRS, UMR 5281)
– Mondialisation pharmaceutique par le bas ? Les circulations de médicaments entre l’Inde et le Kenya
Mathieu Quet (Sociologue, IRD, CEPED)
– Le marché de la génétique bovine : évaluations, circulations et régulations
Lidia Chavinskaia (Doctorante en STS, INRA, LISIS)
– Les entrepreneurs de l’énergie off-grid. Circuits marchands de la pauvreté énergétique au Sénégal et à Madagascar
Pascale Trompette et Céline Cholez (Sociologues, CNRS, PACTE)

Pause repas

14h – 17h30 – Construction des standards de qualité et fabrique de la réputation
– Approche historique de la construction des standards et de la réputation
Michela Barbot (Historienne et Professeure Attachée en Sciences Sociales, CNRS, UMR 8533, ENS Paris-Saclay)
– Une expérience de transfert de technologie et de demande de préqualification pour des CTA produit dans une usine en Tanzanie
Jean René Kiechel (Expert en R&D, DNDi)
– Les milles-et-un visages du riz. Marchandisation d’une denrée sociale aux Philippines
Pierre Mettra (Doctorant en Anthropologie, Centre Norbert Elias)
– La production locale de médicaments à l’heure de la santé globale. Le cas des antipaludiques au Ghana
Jessica Pourraz (Sociologue, Université de Bordeaux, Centre Emile Durkheim)

18h – 20h – Projection de films sur la marchandise médicament au cinéma le Miroir

La cinémathèque Bayer : communiquer la puissance industrielle et scientifique au service de la santé
Joël Danet et Christian Bonah (ingénieur d’études en sources audiovisuelles et Historien, Laboratoire SAGE UMR 7363 – DHVS – Faculté de médecine – Université de Strasbourg).

 

Mardi 31 mars – Des politiques et outils pour gouverner les marchés du médicament

 

Accueil à partir de 8h30

9h –  12h30  (séance en anglais)

La couverture des dépenses de santé

– Access to healthcare – the cost and quality of medicines and impact effects on the poor in Ghana
Abena Asomaning (Economiste, Ghana, PhD à l’Université de Lille)
– Valuations of health: Health insurance for the poorest in India
Stefan Ecks (Anthropologist, Edinburgh University)
Discutante : Fanny Chabrol (Anthropologue, IRD, CEPED)

Les médicaments essentiels

– La mise en place de la politique de médicaments essentiels
German Velasquez (Special Adviser for Health and Development, South Centre, Suisse)
– Essential medicines in the making today: the historical and geographical trajectories of the concept
Pedro Villardi (Sociologue, Institute of Social Medicine, UERJ, Rio de Janeiro)
Discutant : Maurice Cassier (Sociologue, CNRS, CERMES3)

Pause repas

13h30 – 18h

Les médicaments génériques

– MSF : Quelle qualité de médicaments pour nos patients au-delà de nos cliniques ?
Alain Ashalhani (Pharmacien, MSF)
– Un nouveau gouvernement des valeurs et des conduites. La politique française des médicaments génériques (1996-2019)
Etienne Nouguez (Sociologue, CNRS, Centre de sociologie des organisations)
Discutant : Maurice Cassier (Sociologue, CNRS, CERMES3)

Le monopole pharmaceutique
– Ce que l’historiographie de la profession de pharmacien en France et en Angleterre nous apprend des médicaments, des marchés et de la régulation
Jean-Paul Gaudillière (Historien, Inserm, CERMES3)
– Déclinaisons du monopole du pharmacien au Bénin et au Ghana
Carine Baxerres (Anthropologue, IRD, MERIT)
Discutante : Isabelle Moine-Dupuis (juriste, Université de Bourgogne, Crédimi)

Table ronde – Quel échelon politique d’intervention ?
–  L’expérience de l’agence du médicament au Brésil
Marilena Correa (Médecin et sociologue, Universidade do Estado do Rio de Janeiro)
–  L’expérience indienne
Mathieu Quet (Sociologue, IRD, CEPED)
– L’expérience Ouest-africaine
Jessica Pourraz (Sociologue, Université de Bordeaux, Centre Emile Durkheim)
– La transparence des prix des médicaments à l’échelon français
Pauline Londeix (Co-fondatrice de l’Observatoire de la Transparence dans les Politiques du Médicament)

 

Références

Boltanski L., Esquerre A., 2017, Enrichissement: une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 663 p.
Callon M., 2017, L’emprise des marchés: comprendre leur fonctionnement pour pouvoir les changer, Paris, La Découverte, 502 p.
Choplin A., Pliez O., 2018, La mondialisation des pauvres: loin de Wall Street et de Davos, Paris, Seuil, 108 p.
Dubuisson-Quellier, S. (dir.), 2016, Gouverner les conduites, Paris, Presses de Sciences Po, 480 p.
Steiner, P., Trespeuch, M. (dirs.), 2014, Marchés contestés: quand le marché rencontre la morale, Toulouse, Presses Univ. du Mirail, 342 p.
Tsing A.L., 2015, The mushroom at the end of the world: on the possibility of life in capitalist ruins, Princeton, Princeton University Press, 331 p.

 

Inscription

Entrée libre sur inscription préalable avant 2 mars 2020 : https://framaforms.org/inscription-au-seminaire-rationaliser-les-marches-du-medicament-1576510537