De la naissance de l’histoire comme discipline jusqu’à ces dernières décennies, la question de l’écriture a fait couler beaucoup d’encre. Elle a cependant surtout été envisagée sous l’angle des rapports entre histoire et littérature, et plus spécifiquement même entre histoire et roman. On trouvera bien sûr, dans ce numéro spécial du Mouvement social, quelques échos à ces débats sous forme de rappels, de prolongements et d’actualisations. Mais ce qui nous semble désormais mériter attention relève de tout autre chose : de transformations majeures du contexte et des formes.
Du contexte d’abord, fait tout à la fois, comme l’explicite Guillaume Mazeau, d’un  » élargissement de l’audience de l’histoire  » et d’une  » augmentation de ceux qui en font, avec des conséquences patentes pour notre discipline ; d’une supposée crise de l’édition en sciences humaines et sociales ; d’injonctions scientifiques de plus en plus appuyées à faire de l’histoire  » hors les murs « . C’est la question de la place et de l’influence, dans la Cité, des professions intellectuelles qui est ici posée.
Parallèlement, en réponse ou sans lien, les historiens se saisissent de façon croissante de formes d’écriture  » alternatives « , qui tantôt prolongent mais réinventent des familiarisations déjà anciennes (la bande dessinée, le documentaire sonore ou audiovisuel…), tantôt s’engouffrent dans les potentialités ouvertes par le Web depuis plus de deux décennies. Autant de pratiques qui étendent peu à peu les territoires de l’écriture historienne.
Ces deux types de transformations nous ont semblé poser à nouveaux frais la question que soulevait Claire Lemercier à propos de l’accès ouvert aux publications scientifiques, et qui peut être étendue à l’ensemble de nos travaux :  » pour qui écrivons-nous ? «  C’est donc à donner à voir ce champ en labour, à montrer comment les historiens sortent aujourd’hui des  » laboratoires, des archives et des bibliothèques ainsi qu’à amorcer un retour réflexif et critique plaçant plus particulièrement la focale sur l’histoire sociale, que ce numéro double, publié à l’occasion du soixantième anniversaire de notre revue, est consacré.

 

Axelle Brodiez-Dolino et Émilien Ruiz (dir.)
Écrire autrement ? L’histoire sociale en quête de publics
Le mouvement social, n°269, 2020.
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