PH-PAT (2023-2024)

Perceptions d’un haut lieu de patrimoine : expérimentations méthodologiques (PH-PAT ; 2023-2024)

Projet porté par Lisa Renaud (Centre Norbert Elias/Avignon Université) et mené en partenariat avec la Chartreuse de Villeneuve les Avignon, et les laboratoires CIHAM, ICTT, LCC, ELICO et le département de muséologie de l’université de Liège

 

Présentation

Le projet PH-PAT propose de mettre à l’épreuve une méthodologie de recherche pour saisir les perceptions et imaginaires des publics et non publics d’un lieu de patrimoine complexe. Réussir à identifier les représentations sociales et culturelles qu’ont les publics d’un monument constitue une information stratégique pour les sites patrimoniaux. Or, les études de publics informatisées actuellement en place dans ces sites ne sont pas en mesure de les prendre en compte.
C’est à partir du terrain de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon que P-H-PAT entend développer cette méthodologie innovante. Pour ce faire, le projet expérimente différentes méthodes de recueil de données notamment des “experimentretiens” afin d’évaluer pour chacune sa pertinence et ses apports spécifiques à l’étude de la perception de la patrimonialité du lieu.

 

Contexte scientifique

Dès la fin des années 1980, le rapport d’étude d’Expo Media au ministère de la Culture sur La présentation du patrimoine in situ : Communiquer, exposer, exploiter soulignait que pour faire d’un site ou monument un “haut lieu de patrimoine”, il était essentiel de mettre en place une stratégie de communication à partir d’un concept qui permette une déclinaison cohérente sur trois niveaux : mise en communication, en exposition et en exploitation. L’image perçue d’un site ou monument est un facteur déterminant des motivations de visite des publics. En d’autres termes, les représentations que les publics se font d’un lieu de patrimoine, de ce qu’ils peuvent y retrouver, de la programmation qui s’y déploie (et ce même avant de le visiter), peuvent expliciter leur pratique (ou absence de pratique) du lieu, c’est-à-dire la façon dont ils se l’approprient.

 

Une effervescence événementielle qui brouille les représentations des publics

De nombreux sites patrimoniaux ont alors opéré dans les années 1990 un tournant communicationnel et gestionnaire engendrant une démultiplication des événements et activités culturelles. Cette événementialisation associée à la muséalisation croissante (tout devient objet de musée) concourent à brouiller les frontières et déstabiliser les représentations de la patrimonialité. La programmation culturelle foisonnante de certains sites patrimoniaux peut induire un manque de lisibilité et des représentations confuses quant à l’identité patrimoniale. Les publics peuvent alors ressentir des difficultés pour percevoir les multiples facettes d’un lieu et se l’approprier : est-ce un monument ? Un lieu de spectacles ? Un centre d’art ? Un espace marchand ? Ces questions sont omniprésentes pour les sites qui conjuguent différentes sources de patrimonialité ou hybrident les activités culturelles et touristiques proposées. Pouvoir saisir les images et imaginaires que se font les publics d’un site patrimonial constitue un enjeu épistémologique mais aussi opérationnel pour les monuments. Quelles sont les sources de ces images ? Comment les individus élaborent-ils leurs représentations et connaissances d’un lieu de patrimoine ? Comment éviter les brouillages de représentation et au besoin transformer certaines perceptions ?

 

La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon comme étude de cas

C’est à travers l’étude de cas de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon que le projet Perceptions d’un haut lieu de patrimoine : expérimentations méthodologiques (P-H-PAT) ambitionne de contribuer à cette réflexion. Le Chartreuse constitue un espace patrimonial hybride et complexe. À la fois ancien monastère du 14ème siècle et lieu culturel de résidence artistique, cet espace abrite le Centre national des écritures du spectacle et propose une programmation culturelle annuelle. Son identité est donc en prise avec ce mélange des représentations. Le collectif P-H-PAT entend l’interroger grâce à une approche ethnologique. Rappelons en effet que « le monument historique devient […] un objet pour l’ethnologie à l’instant où il se révèle doté, pour le moins, de quatre dimensions : il est à la fois ensemble signifiant, territoire administré, foyer de savoirs et pôle touristique ». La Chartreuse réunissant ces quatre dimensions, il s’agit de mener une étude des publics en collaboration avec cette institution culturelle afin d’identifier les degrés d’homogénéité et d’hétérogénéité des imaginaires du lieu. Accusant une baisse de sa fréquentation, la Chartreuse envisage en effet de repositionner son offre et sa communication, en prenant en considération son hybridité et sa complexité identitaire. Ce lieu de patrimoine est un terrain propice pour analyser les représentations et images plurielles dont il peut faire l’objet.

 

Un enjeu scientifique au regard de l’automatisation des études de publics

Par ailleurs, pour identifier à la fois les représentations sociales, culturelles et perceptions, le projet P-H-PAT souhaite positionner cette étude au regard de l’accroissement des études de publics automatisées.
Le déploiement de la production informatisée de données sur les publics (billetterie, statistiques des sites web, des outils numériques de médiation, etc.) invite à considérer que du fait de l’exhaustivité, une connaissance experte des publics serait envisageable. Il suffirait de se reporter aux rapports d’activités (tableaux de bord et logiciels de reporting) pour avoir une image claire et précise des publics, de leurs pratiques et de leurs attentes.
Or nous voyons deux limites à ces espoirs autour de la donnée sur les publics : d’une part, dans le sillage des études d’opinion ou quantitatives en SHS, les résultats sont conditionnés et limités par les modalités de recueil et de présentation de la donnée (datavisualisation). Le degré d’intentionnalité d’un clic (de l’activation d’une fonctionnalité) peut, par exemple, difficilement être prise en compte. D’autre part, les études statistiques et informatisées ne permettent pas de saisir les logiques de perception des publics des patrimoines et de la patrimonialité.
À rebours de cette automatisation des études de publics, ce projet souhaite redonner son épaisseur à la dimension sensible des expériences, à la prise en compte des subjectivités des individus et à l’importance d’effectuer des enquêtes situées au plus près des enquêtés. Ainsi, cette recherche entend trouver les moyens pour interroger la dimension subjective des proximités, pour travailler les imaginaires, les représentations à travers différentes modalités d’expression.
C’est pourquoi ce projet permettra d’expérimenter et de comparer différentes modalités de recueil, de restitutions des perceptions des publics, afin de pouvoir évaluer leur pertinence et leur plus value au regard des études quantitatives des publics.

 

Objectifs à court et moyen-terme

Ce projet poursuit des objectifs épistémologiques, méthodologiques et opérationnels.

  1. Il vise à mettre en place une méthodologie d’enquête permettant de saisir à la fois les représentations sociales, culturelles et les perceptions d’un lieu patrimonial, de façon située, c’est-à-dire en fonction des rapports de proximités qu’entretiennent les publics et individus avec le site. Cette méthodologie se veut attentive à la prise en compte de la subjectivité des individus.
  2. En termes de résultats, à partir de l’étude de cas et de façon plus opérationnelle, il permettra d’identifier les représentations sociales, culturelles et perceptions de la Chartreuse auprès de ses publics et non publics. Il garantira une prise en compte des publics dans le projet de refonte muséographique.
  3. De façon plus indirecte, ce projet permettra d’expérimenter plusieurs outils ethnographiques de recueils de données et de comparer les résultats que chacun permet d’obtenir : il mobilisera des entretiens (avec ou sans supports iconographiques ou sonores) individuels ou collectifs, et des “experimentretiens” à l’aide des outils de cartographie sensible ou subjective , voire la mise en place de focus group d’idéation. Pour chacune de ces méthodes, il s’agira d’identifier : quelle image du monument ressort avec tel outil de recueil ? Est-ce la même représentation du lieu et du monument qui est exprimée d’une méthode à l’autre ? En somme, qu’est-ce que chacun des outils de recueil permet de saisir et laisse de côté ?
  4. À moyen terme, ce projet vise à élaborer un protocole d’enquête pour saisir les perceptions des monuments qui puisse être reproductible et donc reconduit pour d’autres lieux de patrimoines.