Parlons d’utopies : des mondes sans…


Jeudi 4 mai 2023, a Vieille Charité, salle A.
Réservé aux enseignant·es préalablement inscrit·es via le rectorat.

Les sciences sociales entretiennent une relation complexe aux utopies. Elles cherchent à saisir les fonctionnements et les dynamiques de mondes passés et présents, de mondes ancrés dans des contextes historiques et géographiques bien réels. Elles ne cherchent pas à produire des utopies, c’est-à-dire des projets politiques ou sociaux qui ne se limitent pas du fait des contraintes de la réalité du moment. Néanmoins, les sciences sociales produisent des savoirs comparatifs et critiques qui questionnent l’ordre des choses et révèlent bien souvent la contingence de ce qui pourrait sembler évident, inévitable, voire nécessaire. En cela, les sciences sociales nourrissent les imaginations, et peuvent nourrir indirectement des projets utopiques. C’est ainsi qu’interfèrent deux moteurs fondamentaux de transformations des sociétés humaines dans la longue durée : la capacité des humains à porter un regard critique sur leurs existences, et leur capacité à imaginer des mondes utopiques. C’est à ce jeu du passage de l’analyse scientifique à l’imagination sociale, entre connaissances et espérance, que nous nous livrerons au cours de cette journée. Dans une perspective pédagogique, il s’agira de réfléchir ensemble aux manières dont on peut se servir de savoirs scientifiques pour imaginer à quoi pourrait ressembler des mondes où ce qui semble le plus acquis, le plus allant-de-soi de notre présent serait mis en question. À quoi pourrait ressembler des mondes sans ville, sans vidéo-surveillance, sans frontières, sans handicap, sans inégalités alimentaires, sans argent ?

 

Programme

9h30 – 10h00
Accueil café

10h00 – 10h30
Présentation par Judith Scheele

10h30 – 11h00
Joëlle Zask
Un monde sans ville

11h00 – 11h30
Julien Tartarin
Un monde sans vidéo-surveillance

11h30 – 12h00
Julien Brachet
Un monde sans frontières

12h00 – 12h30
Marie Coutant
Un monde sans handicap

12h30 – 14h00
Déjeuner

14h00 – 14h30
Présentation du festival « Aller savoir » (Marie-Aude Fouéré) et du forum des lycéens (Raphaël Cohen)

14h30 – 15h00
Morgan Jenatton
Un monde sans inégalités alimentaires

15h00 – 15h30
Valeria Siniscalchi
Un monde sans argent ?

15h30 – 16h30
Discussion générale

 

Interventions

Joëlle Zask, membre de l’IUF et du Centre Norbert Elias, enseigne au département de philosophie d’Aix-Marseille Université. Dans ces derniers travaux, elle établit des relations
étroites entre l’écologie et l’autogouvernement démocratique. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont La Démocratie aux champs (La Découverte, 2016) et, aux Éditions Premier Parallèle, Quand la forêt brûle (2019), Zoocities : des animaux sauvages dans la ville (2020), Écologie et démocratie (2022). Son dernier ouvrage s’intitule Se tenir quelque part sur la terre-Comment parler des lieux qu’on aime.

Un monde sans ville
Un monde sans ville serait un monde qui en aurait fini avec la ville utopique, la ville rêvée, la ville idéale. A cette dernière, Joëlle Zask opposera une autre conception de la ville, celle de la cité. Ce sera l’occasion de redéfinir l’utopie dans les termes de Ernst Bloch, le non-encore-
être, et non le nulle part.

Lectures
Mumford, Lewis, La cité à travers l’histoire, AGONE, 2011
Paquot, Thierry, Mesure et démesure des villes, CNRS éditions, 2020
Joëlle Zask, Zoocities, Premier Parallèle, 2022.

Julien Tartarin est doctorant en première année en sociologie au sein du Centre Norbert Elias. Après une maîtrise de sociologie à l’Université de Nantes, il poursuit ses études avec un master en sciences sociales à l’EHESS de Marseille. Pour son mémoire de master 2, il réalise une étude sur les pratiques professionnelles et les processus de légitimation politique d’un centre de vidéosurveillance dans une grande ville française, à travers une ethnographie in situ. Sa thèse débutée en 2022 porte sur l’étude des pratiques et des régulations du soin sous contrainte dans la psychiatrie française contemporaine.

Un monde sans vidéo-surveillance
Apporter à cette proposition programmatique porteuse d’utopie relève presque d’une gageure, tant certains courants en sciences sociales ont été imprégnés d’un imaginaire dystopique à propos de la vidéo-surveillance, quand d’autres ont fait état d’un renforcement constant de ces dispositifs techniques dans les États contemporains. Cette présentation visera principalement à montrer, à travers notamment la présentation d’un cas d’étude concret dans une grande ville française, comment les sciences sociales peuvent s’emparer différemment de cet objet de la vidéo-surveillance, et comment elles peuvent parfois formuler des propositions allant vers un monde avec moins de – ou sans – vidéosurveillance.

Lectures
Castagnino, Florent. « Critique des surveillances studies. Éléments pour une sociologie de la surveillance ». Déviance et Société, vol. 42, n° 1, 2018, p. 9-40.
Douillet, Anne-Cécile, et al. « Un dispositif sociotechnique à la loupe :le développement de la vidéosurveillance dans trois villes françaises ». Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, n° 74, 2011, p. 105-20.
Lemaire, Élodie. L’œil sécuritaire. Mythes et réalités de la vidéosurveillance. La Découverte, 2019.

Julien Brachet est chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (UMR DevSoc, IRD-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Son travail porte sur les
dynamiques migratoires et politiques au Sahara et au Sahel, où il a effectué des recherches empiriques de longue durée.

Un monde sans frontières
Pour penser un monde sans frontières, encore faut-il s’entendre sur ce que sont ces frontières dont on parle tant aujourd’hui, sur leurs origines, les manières dont elles fonctionnent et la diversité des effets qu’elles produisent, selon les temps, les lieux et les personnes. De là il sera possible de saisir leur rôle
dans l’organisation contemporaine du monde et de s’interroger sur ce que leur abolition pourrait produire.

Lectures
Wihtol de Wenden, Catherine. 2014. Faut-il ouvrir les frontières ? Paris : Presses de Sciences Po.
Foucher, Michel. 2016. Le retour des frontières. Paris : CNRS Éditions.
Balibar Étienne. 2022. « Qu’est-ce qu’une frontière ? », dans: Cosmopolitique. Des frontières à l’espèce humaine – Écrits III. Paris : La Découverte, 181-193.

Marie Coutant est ingénieure de recherche, sociologue de formation, actuellement en charge de la direction administrative du Master, du doctorat et du campus EHESS Marseille. Entre 2006 à 2020, elle a créé puis co-dirigé, toujours à l’EHESS, le programme de recherche Handicap et sociétés ainsi que le service de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap. Elle était présidente puis membre du bureau de l’association professionnelle du handicap dans l’enseignement supérieur (APACHES), et à ce titre membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH, de 2016 à 2019).

Un monde sans handicap
Un monde sans handicap propose un petit tour paradigmatique autour de la place du handicap comme catégorie sociale et autour d’un cas pratique. Quand nous parlons d’un « monde sans handicap », parlons-nous bien d’une monde sans handicap ou d’un monde sans personnes handicapées ?

Lectures
Ville I., Fillion E., Ravaud J.F., 2020. Introduction à la sociologie du handicap. De Boeck.
Stiker, H-J., 2013, Corps infirmes et sociétés – Essais d’anthropologie historique. Dunod.

Morgan Jenatton est doctorant en sciences sociales à l’EHESS/CNE. Après un parcours professionnel de sept ans en tant que cuisinier, il mène actuellement une enquête sur les filières du pain en France et des tortillas de maïs au Mexique. Il s’intéresse à comment les différents acteurices de ces filières – consommateurices, boulangèr·es et fabricantes de tortillas, meunièr·es et agriculteurices – intègrent dans leurs pratiques des questionnements autour de l’écologie, ou pas. Il s’intéresse notamment à des formes de ces produits de base qui peuvent être considérés comme étant plus sains, plus agroécologiques ou plus « authentiques », mais qui ne sont pas toujours accessibles de manière inclusive. Il cherche donc à évaluer les négalités sociales dans l’accès aux aliments « durables » et à analyser comment les personnes mobilisent l’alimentation comme une forme de pratique émancipatrice.

Un monde sans inégalités alimentaires
Sa présentation d’aujourd’hui portera sur ces interrogations, de comment ces inégalités alimentaires sont construites et comment elles sont conçues par certaines personnes, en s’appuyant sur l’exemple du pain en France.

Lectures
Ramel, M. et al. « Se nourrir lorsqu’on est pauvre: analyse et ressenti de personnes en situation de précarité »
https://www.atd-quartmonde.fr/produit/se-nourrir-lorsquon-est-pauvre-analyse- et-ressenti-de-personnes-en-situation-de-precarite/
Jenatton, Morgan, « La tortilla de maïs dans les défis et stratégies émancipatrices des femmes de los Altos de Chiapas : entre charges du foyer et commercialisation d’un savoir domestique »
https://revue-antipodes.com/la-tortilla-de-mais-dans-les-defis-et-strategies- emancipatrices-des-femmes-de-los-altos-de-chiapas
Granchamp, L., Lamine, C., Tuscano, M., Berthomé, K., & Jenatton, M. (2023). « Démocratie alimentaire et approches sensibles dans la transition écologique ». Lien social et Politiques, 90.

Docteur en Ethnologie et Anthropologie Sociale à l’Université de Rome La Sapienza (1996), Valeria Siniscalchi travaille dans le domaine de l’anthropologie économique et politique. Elle s’intéresse aux conceptions et aux pratiques de l’économie, aux formes de production et derégulation et à l’organisation de l’espace. Ses recherches actuelles portent sur les mobilisations dans le domaine de la production et de la consommation alimentaire. Elle est responsable de la mention de master et de la Formation doctorale de l’EHESS à Marseille et a été présidente de l’Association européenne des anthropologues sociaux (EASA).

Un monde sans argent ?
Des « alternatives » économiques mises en place par des producteurs et/ou de consommateurs jusqu’à des mouvements sociaux plus structurés, des expérimentations diverses voient le jour et essayent de repenser non seulement la production et la consumation mais plus généralement le système économique, le rôle de l’échange et les valeurs que s’y attachent. A partir de quelques exemples ethnographiques, l’intervention portera sur la place de l’argent dans des expérimentations économiques : l’argent semble parfois disparaître ou assumer des nouvelles formes et fonctions. Comment se configurerait-il un monde sans argent ?

Lectures
Siniscalchi, V. 2015, « The anthropology of European economic spaces », Social Anthropology 23, 3 : 357-359.
Siniscalchi, V. 2015, « ‘Food activism’ en Europe : changer de pratiques, changer de paradigmes », Anthropology of food, S11.