L’époque contemporaine est marquée à la fois par l’irruption de nouvelles formes de cartographies, liées au numérique, et par l’omniprésence des cartes dans la vie sociale. Dans le même temps, les réflexions épistémologiques et critiques qui se sont développées au sujet de la cartographie, depuis plus de vingt ans, ont mis en évidence deux dimensions essentielles des opérations cartographiques : leur dimension politique d’une part, et leur dimension rhétorique, d’autre part. La cartographie aurait, indirectement, le pouvoir de mettre en forme la société à laquelle elle appartient et dont elle traduit par ailleurs les choix et les valeurs. Dans cette perspective, les cartes peuvent être vues également comme des lieux de conflits entre des représentations, des valeurs et des langages concurrents. Ce sont des objets instables, relatifs autant à l’état des rapports de pouvoirs qu’à celui des savoirs. Par ailleurs, si l’on considère les cartes non seulement comme des représentations plus ou moins conformes des territoires, mais aussi comme des expressions de la culture où elles sont produites et sur laquelle à son tour elles agissent, et aussi comme des instruments de communication, il est légitime de poser les questions de leur puissance persuasive et des moyens rhétoriques qu’elles mobilisent.

Il est alors nécessaire de prêter attention à l’ensemble des signes qui contribuent à la signification et à l’efficacité des cartes. A ce titre celles-ci peuvent être étudiées à l’aide des ressources fournies par l’analyse du discours, l’analyse textuelle, et par l’iconologie. Et à cet égard tout, dans les cartes, est susceptible d’être interrogé et analysé, et pas seulement les éléments du discours cartographique qui semblent parler directement du « territoire ». Tous les signes, jusqu’aux détails, concourent à l’ensemble des significations portées par les cartes, et en tant que tels méritent d’être interprétés. Les couleurs, les symboles, les lignes, les noms, les systèmes de projection, mais aussi le support, le cadre, l’échelle, le format, les cartouches, l’iconographie et les éléments décoratifs, bref de manière générale les parerga de la carte sont à considérer isolément et dans leur combinaison. Il y aurait sans doute beaucoup à gagner pour l’histoire et la théorie de la cartographie à envisager celle-ci au sein d’une théorie générale des cultures visuelles, auxquelles elle collabore de façon évidente.

L’objectif de ce séminaire de recherche est de considérer, dans le cadre de séances de lectures rapprochées (au sens donné à cette pratique par Daniel Arasse), les cartes comme des objets matériels spécifiques, dotés de pouvoirs propres, indépendants de toute intention mimétique vis-à-vis des territoires. Autrement dit on voudrait interroger, par hypothèse, les cartes dans leur autonomie de media par rapport au territoire, et interroger leur puissance médiale, en combinant, sans s’y réduire, des approches historiques, anthropologiques et sémiologiques. On sera attentif, en particulier, à ce que les propositions artistiques modernes et contemporaines qui se sont emparées de la cartographie ont pu donner à penser de cet espace plastique.

Le séminaire sera animé par Jean-Marc Besse (Géographie-cités/CNRS) et Guillaume Monsaingeon. Avec la participation de Jean Boutier (CNE/EHESS).

Le séminaire aura lieu à l’EHESS Campus Marseille, la Vieille Charité, les vendredis de 16h00 à 18h30 (sauf exceptions). Il est ouvert aux doctorants de l’EHESS, et également à d’autres auditeurs-participants.
Les mesures sanitaires en vigueur limitent pour chaque séance le nombre de participants à 15, organisateurs et intervenant compris. Inscription préalable indispensable. Possibilité de suivre le séminaire à distance.

 

Programme des séances

 

30 octobre (16h00-18h30. Salle C)
Introduction au séminaire
Jean-Marc Besse, Jean Boutier et Guillaume Monsaingeon

13 novembre (16h00-18h30. Salle A)
Cartes de la démarcation de la frontière du Rhin, 1863
Jean-Luc Arnaud

20 novembre (10h00-13h00, Salle C)
François Levaillant, Carte de la partie méridionale de l’Afrique, pour servir d’intelligence aux deux voyages de Levaillant, 1791
Jean-Marc Besse ou Jean Boutier (choix à préciser)

18 décembre (16h00-18h30. Mucem, salle à déterminer)
Albums de statistique graphique, Ministère des travaux publics 1878-1906
Gilles Palsky

15 janvier (16h00-18h30. Salle A)
Les cartes publiées dans Le Monde
Guillaume Monsaingeon

22 janvier (16h00-18h30. Salle A)
J.-P. Houel, Voyage pittoresque des isles de Sicile, de Malte et de Lipari, 1782
Guillaume Monsaingeon