Mathieu Fribault soutient sa thèse en anthropologie sociale et ethnologie préparée sous la direction de Georges Guille-Escuret le 19 février 2020 à Marseille.

Titre
La figure de l’innovateur chez les Baga et Susu de Guinée. Histoire sociale, verrous et jalousie

Résumé
Dans un petit village de Guinée Maritime, des autochtones Baga Sitem cohabitent avec leurs étrangers Susu depuis plus d’un siècle. Les deux vivent au sein d’un milieu de mangrove transformé au fil des siècles et des défrichements successifs en une vaste plaine où se pratiquait la riziculture irriguée. Au courant du siècle passé, un bouleversement écologique majeur a abouti à un changement radical du régime des eaux, avec pour conséquence la « mise en panne » de la production rizicole. Les Susu ont rapidement développé des techniques de pêche adaptées au nouvel environnement, un marais d’eau douce, alors que les Baga ont tenté de sauver la production du riz, en vain. Pour enrayer le cycle des disettes annuelles, ils se sont finalement tournés récemment vers la ressource halieutique et une technique précise : la pêche au filet droit.

Alors que les Sitem rêvent de « réussite », l’appropriation de la pêche n’est pas totale : des verrous à l’innovation l’entravent. Afin de saisir les blocages et de les ancrer dans une analyse comparative, nous mobilisons l’histoire sociale des deux sociétés : face aux violences séculaires de la sous-région, l’histoire sitem est marquée par le choix du refuge dans la mangrove, à la limite du marronnage, pendant que l’ethnie susu émerge sur un territoire carrefour d’où elle conquiert la côte au fil du temps. L’agencement au contexte des violences historiques recèle conjointement un ordre social interne, et les deux sociétés, entre dynamiques du refuge et de la conquête s’opposent de ce point de vue. On recourt aux notions locales de badenya et fadenya afin de synthétiser une série de traits sociaux distinctifs qui sanctionnent un rapport à l’initiative individuelle très nuancé entre Baga et Susu. Alors que les deux sociétés s’approprient de nouvelles options de production, les acteurs se confrontent à leur histoire, à leurs structures territoriales, politiques et religieuses respectives, ainsi qu’à leurs techniques d’administration de la violence et du secret.

Dans cette étude, l’analyse des verrous est ancrée dans la technologie culturelle classique et s’accompagne d’une approche pragmatique. La recherche interroge finalement la relation entre innovations techniques et changements sociaux, ainsi que la figure de l’innovateur au sein de sociétés non soumises à une idéologie moderne valorisant la nouveauté. On observe qu’au-delà des blocages, l’innovateur baga agit « recroquevillé » et en régime d’incertitude face à ses « parents » sitem, quand l’innovateur susu est « chanté » par sa société. On conclura que l’engagement d’acteurs dans l’innovation est déterminé par les dynamiques sociales, entre renfermement, crise, expansion, impliquant des formats institutionnels autant que des relations de sentiments, et par l’histoire des groupes sociaux. Attachées au terrain, des questions plus guinéennes sont débattues au fil du texte, alors que les Baga Sitem vivent des mutations profondes prenant la forme d’une « susuisation » de la région de la Basse Côte.

Mots clés
Techniques, Changements sociaux, Sentiment, Crise sociale, Innovation.

Jury
Georges Guille-Escuret, CNE, directeur de thèse
Pascale Moity-Maizi, SupAgro
Marc-Eric Gruénais, Université Bordeaux
Philippe Geslin, HE-Arc (Suisse)
Serge Bahuchet, MNHN
Frédéric Joulian, CNE/EHESS

École doctorale
EHESS – Formation doctorale « Sciences sociales – Marseille » (École doctorale 286)
Spécialité : anthropologie sociale et ethnologie