Matteo Fano soutiendra sa thèse de doctorat en anthropologie (EHESS), préparée sous la direction de Yannick Jaffré (CNRS), le 11 décembre 2023 à partir de 14h00 à l’EHESS Campus Marseille (La Vieille Charité, 2e étage, salle A).
Les personnes qui souhaitent assister à la soutenance sont invitées à se rapprocher du candidat

Titre
« Quand tu n’as pas de papiers, tu ne peux pas choisir ! ». Sociobiographies d’un groupe de jeunes migrants d’origine africaine à Marseille

Résumé
Ce travail de recherche a pour objectif de mieux comprendre le phénomène migratoire contemporain et son évolution, en adoptant un point de vue microsocial et phénoménologique axé sur les expériences vécues d’un groupe diversifié d’hommes d’origine subsaharienne arrivant pour la première fois en France. Ces individus avaient quitté leur pays d’origine dans l’espoir d’atteindre une mobilité sociale et existentielle qu’ils considéraient comme inaccessible autrement. L’auteur a suivi leurs parcours sociaux et administratifs lors de leur installation à Marseille, en participant sous des différentes manières à leurs expériences et en recueillant leurs témoignages sur les circonstances de leur départ et les expériences qu’ils ont vécues en cours de route. Ces trajectoires de voyage et d’installation mettent en lumière les liens complexes entre la formation des psychologies des acteurs et les forces globales qui structurent leurs contextes d’existence, se manifestant à l’échelle individuelle sous forme de contraintes et d’opportunités qui orientent les choix de conduite. À ce sujet, l’auteur souligne que la décision de rester à Marseille n’a pas été prise de manière définitive dès l’arrivée, mais a été renégociée au jour le jour en fonction des événements qui modifiaient leur situation de vie, et donc leurs perspectives d’avenir. Ce processus d’intégration sociale « par le bas » s’est déroulé à la fois en adaptant le contexte à leurs besoins grâce à des astuces et ajustant progressivement leurs aspirations à la réalité de leur condition. Malgré des situations parfois très contraignantes, ils ont réussi à dégager des espaces d’autodétermination, leur permettant de se sentir acteurs de leur parcours, d’envisager la possibilité de vivre une vie digne, et de spéculer sur le fait qu’ils avaient plus de chances de le faire sur place plutôt qu’ailleurs. De cette manière, en revanche, ces individus se sont progressivement éloignés des objectifs d’avenir qui avaient animé leur projet initial de migration, se rapprochant de celui que la société d’accueil leur avait prescrit en fonction de leur statut, parfois en restant enfermés dans des formes d’inclusion partielle et précaire. Dans ce cadre, la relation d’échange entre les enquêtés et l’enquêteur a joué un rôle important. Tout d’abord, ce dernier leur a fourni des ressources matérielles, des informations et des conseils, ce qui leur a donné plus de marge de manœuvre pour faire face aux imprévus du quotidien. Ensuite, elle a fourni un cadre propice à la co-construction d’un dispositif d’écoute qui a permis aux enquêtés de partager librement leur histoire tout en la revisitant, et donc de mieux se l’approprier. Ainsi, en négociant leur relation avec le passé à travers le récit, ils ont pu l’utiliser comme base pour élaborer de nouveaux projets pour l’avenir, à la fois réalisables à la lumière des contraintes imposées par le contexte actuel, et leur permettant de s’y reconnaître grâce à une continuité biographique reconstruite a posteriori, souvent en s’appuyant sur des métonymies identitaires. En résumé, cette thèse décrit comment ces personnes, bien que confrontées à des circonstances très contraignants, ont réussi à négocier des espaces d’autodétermination qui leur ont permis de garder les rênes de leurs vies, en utilisant ce que la société d’accueil essayait de faire d’eux comme point de départ pour en faire quelque chose de différent.

Title
« When you don’t have papers, you can’t choose! ». Sociobiographies of a group of young African-origin migrants in Marseille.

Abstract
This research aims to better understand the contemporary migratory phenomenon and its evolution by adopting a microsocial and phenomenological perspective focused on the lived experiences of a diverse group of men of Sub-Saharan African origin arriving in France for the first time. These individuals had departed from their home countries with the aspiration of attaining social and existential mobility that they perceived as otherwise impossible to reach. The author followed their social and administrative trajectories during their settlement in Marseille, actively participating in their experiences and collecting their testimonies about the circumstances of their departure and the experiences they had along the way. These travel and settlement paths underscore the intricate connections between the evolution of the actors’ psychologies and the global forces shaping their life contexts. These forces materialize at the individual level through constraints and opportunities that mold their decisions. In this regard, the author emphasizes that the decision to stay in Marseille was not definitively determined upon arrival but, rather, was subject to daily renegotiation, influenced by evolving circumstances that impacted their living conditions and, consequently, their prospects and hopes for the future. This process of social integration from the bottom up involved tailoring their environment to their needs through resourcefulness and progressively aligning their aspirations with the realities of their circumstances. Despite facing occasional challenges, they succeeded in creating spheres of self-determination, enabling them to perceive themselves as actors of their destiny, consider the potential for leading dignified lives, and entertain the idea that their odds of achieving this were higher in that location than elsewhere. Conversely, in this process, these individuals gradually moved away from the future goals that had driven their initial migration project, instead aligning with the one prescribed by the host society based on their status, sometimes remaining trapped in forms of partial and precarious inclusion. In this context, the exchange relationship between the interviewees and the researcher played a significant role. Firstly, the researcher provided them with material resources, information, and advice, giving them more room to handle everyday contingencies. Secondly, it provided a conducive framework for co-constructing a listening mechanism that allowed the interviewees to freely share their stories and reinterpret them, facilitating better ownership of their narratives. By negotiating their relationship with the past through storytelling, they could use it as a foundation to develop new future projects that were both achievable in light of the constraints imposed by the current context, and allowed individuals to identify with them through a biographical continuity reconstructed retrospectively, often based on identity metonymies. In summary, this thesis describes how this group of people managed to maintain control over their lives by using what the host society tried to make of them as a starting point to create something different.

Jury
Yannick Jaffré (Directeur de thèse), CNRS
Thémistoklis Apostolodis, Aix-Marseille Université
Mélissa Blanchard, CNRS
Fatoumata Hane, Université Assane Zeck de Zinguichor
Christine Jacobsen, Université de Bergen
Judith Scheele, EHESS

Ecole doctorale
286 – EHESS