Pierre Mettra (Centre Norbert Elias/EHESS) présente sa thèse de doctorat en anthropologie, préparée sous la direction de Giorgio Blundo (Centre Norbert Elias/EHESS) vendredi 11 décembre à 11h00, en visioconférence. Celles et ceux souhaitant y assister devront se rapprocher du candidat.

Titre
Le riz et l’argent. Manifestations du changement social dans la Cordillère des Philippines

Title
Rice and Money : aspects of social change in the Philippine Cordilleras

Résumé
La province Ifugao, dans la Cordillère des Philippines, est le théâtre d’affrontements symboliques qui apparaissent avec netteté lorsqu’on s’y intéresse à la riziculture. Des appartenances sociales centrées jusqu’à récemment sur la production et la circulation locale de riz et se tournent désormais vers un autre vecteur de valeur, l’argent. La thèse explore ce déplacement, en proposant une ethnographie du changement social qui donne la place aux initiatives individuelles, aux débats et aux actions quotidiennes des membres d’une société Ifugao qui ne sont pas uniquement les témoins passifs de bouleversements mondiaux.
Le texte explore ce qui est défini comme une incertitude des acteurs sur ce qu’est leur société et sur la manière dont elle peut se reproduire en un temps de mutations rapides des normes sociales Cette enquête sur les normes, et la façon dont elles s’appliquent ou sont sujettes à des remaniements, est étroitement connectée à un travail empirique de terrain. Celui-ci se concentre en particulier sur la question des valeurs d’échange : les variétés locales de riz Ifugao, désignées par le terme générique de tinawon, sont dédiées par excellence aux échanges interpersonnels qui entretiennent les redevabilités Ifugao, nourrissant des cycles de dettes, de dons et de contre-dons qui cimentent les relations. Ce rôle leur est cependant disputé par l’argent, pure valeur d’échange que l’analyse ne présente pas dans un rôle destructeur et anti-culturel, mais au contraire comme profondément socialisé et inondé de représentations pérennes autrefois attachées au riz. Ce déplacement de la valeur, symptôme de l’incertitude des normes, révèle l’architecture du changement social en Ifugao.
Cependant, ces dynamiques ne peuvent être comprises sans en envisager l’aspect profondément politique, ce dans une continuité temporelle qui dépasse les frontières immédiates du contemporain. La partie centrale de la thèse est ainsi dédiée à une étude historique, reposant sur un travail d’archives, qui envisage la genèse du nationalisme philippin et met en perspective la narration que celui-ci a construit avec l’histoire de l’inclusion de la Cordillère dans un archipel devant sa naissance comme unité politique à des volontés coloniales. Cette approche permet d’éviter l’écueil localiste qui consisterait à ne considérer la province Ifugao que comme un « ici et maintenant » compréhensible isolément.
Une égale prudence pousse à envisager les rapports de pouvoir dans la province contemporaine d’Ifugao par une enquête qui en dépasse les frontières. La question des échelles politiques est ainsi au cœur de la dernière partie du texte, dans laquelle l’analyse tente de montrer combien la formation quotidienne de la gouvernance est liée à des phénomènes transversaux qui impliquent des espaces physiques ou idéologiques variés, de la municipalité aux réseaux internationaux de l’immigration philippine.

Abstract
Ifugao province, in the Philippine Cordilleras, is an arena where symbolic confrontations clearly appear in rice-farming. Social interactions that were centered around the rice production and consumption are shifting towards another carrier of value: money. This thesis explores this shift, putting forward an ethnography of social change that gives room to individual initiatives and debates, and take into account the everyday actions of the members of Ifugao society, who are everything but passive viewers of world mutations.
This book seeks to understand what it describes as the uncertainty of actors about what their society is and about how it may reproduce in a context of rapidly changing social norms. The inquiry about norms, and the way they are performed or reshaped, is tightly connected to an empirical fieldwork. It focuses primarily on the topic of exchange values; the local Ifugao rice varieties (tinawon) are dedicated to interpersonal exchanges, fostering a cycle of social debts and reciprocity that cement the bonds between persons. This crucial role of Tinawon, however, is contested by money, a pure exchange value. The analysis does not consider money as destructive and anti-cultural, but rather as deeply socialized and flooded with lasting representations that used to be attached to rice. This migration of value, a symptom of norm uncertainty, reveals the architecture of social change in Ifugao.
These dynamics, however, can be understood only by taking their political dimension into account, in a period extending beyond the limits of the contemporaneous. Thus, the central part of the thesis is dedicated to a historical study, built on archives, looking at the genesis of Philippine nationalism. It sets a comparison between the narrative the latter has created, and the history of the inclusion of the Cordilleras within a political archipelago born from colonial drives. Such an approach aims at avoiding the localist trap of considering Ifugao province as an isolated “here and now”.
One must be equally thorough in investigating multi-scaled phenomena when considering the power relationships in present day Ifugao. The concept of scales lay at the core of the third part of this book, in which the analysis attempts to demonstrate how strongly the everyday construction of governance is linked to transversal events that imply diverse geographical and ideological spaces, from municipalities to international networks of Philippine immigration.

Jury
Romain Bertrand, directeur de recherche Sciences-Po CERI, rapporteur
Pierre-Yves Lemeur, directeur de recherche IRD, rapporteur
Arundhati Virmani, enseignante-chercheure, EHESS
Xavier Huetz de Lemps, professeur des Universités, Université de Nice-Sophia Antipolis
Laurent Dousset, directeur d’études, EHESS
Giorgio Blundo, directeur d’études, Centre Norbert Elias/EHESS, directeur de thèse

École doctorale
EHESS – Formation doctorale « Sciences sociales – Marseille » (École doctorale 286)
Spécialité : anthropologie sociale et ethnologie