Pierrick Lefranc soutiendra sa thèse en Pratique et théorie de la création artistique et littéraire préparée sous la direction de Jean-Paul Fourmentraux, le 22 mars 2024 de 8h00 à 11h00 à la Faculté de lettres et des sciences humaines de Brest, salle des thèses Yves Moraud. La soutenance sera retransmise en direct sur la chaîne YouTube de l’Université de Bretagne Occidentale.
Dans le cadre du festival RESSAC, la soutenance sera précédée, la veille, de la performance sonore Comment (faire) pousser un Cri ?

Titre
Le katajjaq inuit au-delà de la patrimonialisation : De l’ethnographie à la recherche-création

Résumé
Situé entre le cri et le chant, le katajjaq a toujours fasciné les Occidentaux, mais a surtout été à l’origine de nombreuses controverses (appropriation culturelle, équité épistémique, continuité culturelle autochtone). Ces dernières ont entravé les échanges interculturels alors que les savoirs traditionnels apparaissaient dans le même temps comme un moyen de faire face aux différentes crises contemporaines. Ainsi, les musiciens, les compositeurs et les institutions ont beaucoup de difficultés à se frayer un chemin entre les tentations au repli différentialiste et une quête d’universalisme réducteur. L’on observe donc une mise en concurrence de différentes postures, que ce soit celles des scientifiques, des autochtones ou des créateurs. Dans tous les cas, les stratégies adoptées tendent à essentialiser le katajjaq, car les approches, qu’elles soient musicologiques ou patrimoniales, ont avant tout cherché à déterminer ce qu’était le katajjaq, alors que cette technique se présente avant tout comme un dispositif ludique qui fait faire des choses. Il fallait donc davantage porter attention au katajjaq comme activité, qu’au produit de cette activité et c’est pour cette raison que recherche et performance ne pouvaient en aucun cas être dissociées.
L’objectif de cette recherche-création était donc d’essayer de mieux comprendre comment la culture inuit pouvait être distribuée dans le katajjaq en tant que technique. Il s’agissait d’essayer d’observer et de décrire, en situation, sa capacité à venir bousculer des catégories bien établies (comme la musique, la tradition, la création, la participation ou l’expérimentation), quand il est en prise avec d’autres techniques plus contemporaines. C’est en recourant à l’(auto)ethnographie qu’il nous a été possible de rendre compte de la manière dont il est venu interroger nos propres pratiques. L’enquête de terrain devenait alors notre principale contrainte créative et il fallait aussi découvrir les contextes dans lesquels nous pourrions initier cette nouvelle façon d’aborder un patrimoine vivant comme le katajjaq. Les dispositifs Arts et Sciences se sont alors présentés comme un nouvel horizon possible de la patrimonialisation, car induisant la rencontre fructueuse et symétrique de différentes épistémès et pratiques. Ils permettent de s’accorder sur une activité à mener en commun plutôt que sur un ensemble de propositions intellectuelles ou esthétiques. Ainsi, ces dispositifs qui ont montré leur bienfait dans le domaine des arts numériques ou de l’art contemporain ont semblé devoir être généralisés aux arts et savoirs dits traditionnels, réinterrogeant le rôle que pouvaient jouer pour eux des lieux dédiés tout autant à la recherche qu’à la création.
En suivant le katajjaq pas à pas, mais aussi en combinant les forces de l’art et de l’anthropologie, nous avons été amenés à accorder moins d’importance à l’œuvre et à son auteur qu’à ce qui se produit quand l’on se réunit autour d’activités sonores. Nous avons alors mieux compris le rôle commutateur des productions sonores quand elles permettent l’établissement d’une zone grise de la rencontre. Cela nous incita à moins considérer la création comme un renouvellement du langage musical (rupture) que comme une manière d’établir un langage commun (réunion), liant ainsi des problématiques esthétiques, à des problématiques politiques, pour qu’une certaine idéologie du progrès propre au monde de la création fasse peu à peu place à une éthique de la sollicitude.

Title
Inuit katajjaq Beyond Heritage : From Ethnography to Research-Creation

Abstract
Located between the cry and the vocal, katajjaq has always fascinated Westerners but has been the source of numerous controversies (cultural appropriation, epistemic equity, Indigenous cultural continuity). These controversies have hindered intercultural exchanges while as traditional knowledge emerges as a way to deal with contemporary crises. Thus, musicians, composers, and institutions face significant challenges navigating between the temptations of differentialist withdrawal and a quest for reductionist universalism. Competing postures are observed, whether from scientists, Indigenous people, or creators. In all cases, the adopted strategies tend to essentialize katajjaq, as both musicological and heritage approaches have primarily sought to determine what katajjaq is, overlooking its nature as a playful activity that makes things happened. Therefore, it was crucial to pay more attention to katajjaq as an activity rather than its product, and for this reason, research and performance could not be dissociated.
The objective of this research-creation was to try to better understand how Inuit culture could be distributed in katajjaq as a technique. The aim was to observe and describe, in situ, its ability to disrupt well-established categories (such as music, tradition, creation, participation, or experimentation) when engaged with other more contemporary techniques. Through (auto)ethnography, we were able to document how katajjaq questioned our own practices. Fieldwork then became our primary creative constraint, and we had to explore contexts in which we could initiate this new approach to a living heritage like katajjaq. The Arts and Sciences device then emerged as a possible new horizon for heritage-making, as they involved a fruitful and symmetrical encounter of different epistemes and practices. These device enable agreement on a shared activity rather than a set of intellectual or aesthetic propositions. Thus, these device, which have proven beneficial in the field of digital arts and contemporary art, seemed to be applicable to traditional arts and knowledge, challenging the roles of dedicated spaces for both research and creation.
By closely following katajjaq and combining the strengths of art and anthropology, we found ourselves giving less importance to the work and its author, focusing instead on what happens when people gather around sonic activities. We have thus gained a better understanding of the switch-like role of sound productions when they enable the establishment of a gray area of encounter. This led us to view creation not merely as a renewal of musical language (rupture) but as a way to establish a common language (reunion), linking aesthetic issues to political concerns. Thus, an ideology of progress in the creative world gradually gave way to an ethic of care.

Jury
Jean-Paul FOURMENTRAUX, AMU/CNE Marseille (Directeur de Thèse)
Antoine HENNION, CSI/MinesParisTech/Paris (Rapporteur)
Sara LE MENESTREL, CNRS/EHESS/Paris (Rapporteuse)
Jocelyn ROBERT, École d’art/Université Laval/Québec (Examinateur)
Peter SINCLAIR, ESAAix (Examinateur)
Joelle TREMBLAY, École d’art/ULaval/Québec (Présidente du jury)

École doctorale
354 – Aix-Marseille Université / Langues, Lettre et Arts

Laboratoire/Partenaire de recherche
Centre Norbert Elias (UMR 8562)
Athénor, Centre National de Création Musicale de Saint-Nazaire (CNCM)