La Fédération de recherche Agorantic vous convie le 8 décembre 2020 à son symposium qui, cette année, s’articulera autour du thème robotique et société. Cet événement a pour but de mettre en œuvre un dialogue interdisciplinaire en réunissant des spécialistes reconnus de diverses disciplines, des théoriciens de la philosophie de la technique, des philosophes en éthique, des chercheurs en science humaine autour des enjeux éthiques, juridiques et politiques liés aux interactions entre les robots et la société.

Sont invités, à cette occasion Véronique Aubergé, chercheuse au CNRS INSHS – Laboratoire d’Informatique de Grenoble et Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie (HDR), membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris-VII (Denis Diderot).

Inscriptions obligatoires avant le 6 décembre. Le lien vers la visioconférence vous sera envoyé automatiquement une fois que vous aurez rempli le formulaire ici.

Programme

Chaque présentation : 45 minutes d’exposé et 15 minutes de questions.

  • 9h15-9h30 : Introduction par les directeurs de la FR Agorantic
  • 9h30-10h30 : Présentation de Véronique Aubergé – “Le robot morphine sociale ?”
  • 10h00-10h45 – 12h00 : Présentation de Serge Tisseron – “Pour un dialogue sans concession entre l’homme et le robot”
  • Clôture par les directeurs de la Fédération

 

 

Intervenants

 

 

Véronique Aubergé


Chercheur CNRS/INSHS au LIG, responsable méthodologique de Domus-LIG/MaCI, co-dir du master Industries de la Langue, porteur de la Chaire industrielle d’excellence Robo’ethics de la Fondation Grenoble INP.

 

“Le robot morphine sociale ?”

 

Résumé

Dans cet engouement actuel pour l’intelligence artificielle, la machine dite robot, le robot dit social, est un point singulier et révélateur à la fois des fantasmes et des réalités bien plus culturelles que technologiques, qui laisse agir, peut-être favorise, cette perception de « sujet » que nous projetons sur cet objet technologique. Même si le robot dédié social ne pénètre pas encore notre quotidien, nombreux sont déjà les robots de service que les constructeurs ne peuvent empêcher d’être perçus comme “sociaux”. Les attributs de cette machine sont majoritairement issus de la pratique actuelle de l’intelligence artificielle, fortement industrialisée et reposant essentiellement sur des apprentissages algorithmiques aveugles et esclaves des dons incessants de nos données naturellement très intelligentes, déposées sur les autoroutes numériques. Il n’existe pas actuellement de faits scientifiquement établis désignant les caractéristiques qui font percevoir cet objet technique comme un “autre” augmentant notre espace social, et en particulier la nécessité de réfléchir et modéliser les attributs projetés sur cette machine (force/fragilité, dominance etc).. Cette illusion du vivant, de surcroît empathique place le « robot social » dans un statut remarquable du mécanisme éthique de son intégration sociétale. Ainsi les personnes, en particulier fragiles dans leur densité sociale, en sentiment d’isolement, projettent semble t il durablement, sur un robot dont les caractéristiques expressives sont contrôlées, des attachements qui pourraient tout autant soulager leur douleur d’isolement, que les isoler à terme bien plus encore, nous questionnant en urgence sur les conséquences de ces manipulations pour toutes les populations, et sur les responsabilités endossées.
Mais en premier lieu, doit sans doute être posée en préalable à toute réflexion, la question de la raison de ce désir (besoin ?) actuel d’un “autre” artificiel et de cette évidente facilité et inquiétude par lesquelles nous les appelons dans nos intimités. Cet artefact est-il seulement un fait de nouveauté attrayant mais futile ou pourrait-il utilement favoriser la reconstruction de notre espace social humain endommagé, par cette machine miroir de l’humain, jusqu’à devenir inutile ? Ou au contraire la méconnaissance des processus profonds de l’interaction de l’humain et de l’état de notre tissu socio-relationnel est-il un risque de toxicité dans l’usage d’une illusion d’un autre vide.

Biographie

Elle obtient en 1991 une thèse en Informatique et en Linguistique après 4 ans ingénieur de recherche R&D dans la société OROS (Meylan) et entre au CNRS en 1992, après 2 ans ATER en informatique à l’ENSIMAG et d’enseignements de sciences du Langage et Sciences Cognitives à l’Université de Lettres et Langues et à l’Université de Sciences Humaines et Sociales de Grenoble. En contrat de recherche à l’ICP depuis 1983, devenu GIPSA lab, avant d’intégrer le LIG en 2012, ses travaux ont porté sur l’orthographe, la phonétisation, la prosodie, l’apprentissage des affects dans les langues, les émotions dans les interactions humaines, la construction de la relation socio-affective, avec des applications en synthèse vocale expressive et puis récemment en robotique sociale. Elle a dirigé des projets nationaux et internationaux avec des laboratoires, des industriels TPE et PME ou des grands groupes (ATT, Bell Labs, ATR, Orange Labs…). Elle a développé une méthode expérimentale participative et écologique de co-construction des théories, modèles, données et technologies (FractaLL) qui, appliquée au robot social, le place comme instrument d’observation et validation des comportements humains : elle propose une théorie cognitive de la représentation de soi et de l’autre (Dynamics of Affective Networks for Social Entities – D.A.N.S.E.) qui inscrit l’interaction humaine dans une dynamique évolutive de la relation et de l’attachement (glu socio-affective). Mettant l’humain au centre d’un Living Lab oeuvrant pour une éthique émergente et inclusive des nouveaux outils numériques, les citoyens et acteurs sociétaux dans leurs différents rôles, les industriels en partenariat étroit avec les chercheurs, co-construisent des applications raisonnées pour une interaction personne-robot dédiée à l’utilité et au confort relationnel pour la personne, et dont le but est de ramener l’humain vers l’humain. Les personnes fragiles (âgées, malades…) en sentiment d’isolement sont des acteurs privilégiés de ce « micro-observatoire vivant » des changements : le robot social RobAir Social Touch du fablab FabMSTIC est transformé au travers de notre expérience collective de cette intelligence sociale artificielle qui pointe sur la transformation culturelle des relations humaines.

 

Serge Tisseron


Psychiatre, docteur en psychologie (HDR), membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris-VII (Denis Diderot).

 

“Pour un dialogue sans concession entre l’homme et le robot”

 

Résumé

La révolution robotique s’annonce porteuse de grands espoirs et de problèmes non moins importants. Certains d’entre eux ne sont pas spécifiques, comme les menaces sur les emplois qui ont accompagné toutes les révolutions technologiques, ou celles sur les libertés qui existent déjà avec nos objets numériques quotidiens. Mais d’autres problèmes spécifiques vont apparaître. L’empathie artificielle a été imaginée pour nous permettre de vivre en paix avec eux, et elle participe déjà à leur acceptabilité, notamment dans les soins aux malades. Mais elle n’est pas sans risques, et le plus préoccupant concerne ceux que les humains pourraient se faire courir à eux-mêmes par une appréciation erronée de ce que sont les robots.
Enfin, s’il est facile de s’accorder sur l’idée d’une IA qui favorise les interactions sociales des utilisateurs en s’engageant avec eux dans des boucles de rétroaction complexes, s’agit-il de concevoir des systèmes qui combleront les besoins communicationnels des humains en s’adaptant toujours mieux aux caractéristiques cognitives et psychologiques de chacun d’entre eux ? Ou bien s’agit-il de concevoir des systèmes qui favorisent des interactions plus riches entre les humains et la création entre eux de pactes collaboratifs plus complexes de telle façon qu’ils puissent réaliser collectivement ce qu’ils ne peuvent faire ni chacun seul avec l’IA, ni tous ensemble sans IA ? De la réponse à cette question, dépendra la nature de la société de demain.

Biographie

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie (HDR), membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris-VII (Denis Diderot). Il a publié une trentaine d’essais personnels, notamment sur les secrets de fa mille, nos relations aux images et les bouleversements psychiques et sociaux entraînés par le numérique. Ses livres sont traduits dans onze langues. Il est coauteur du rapport de l’Académie des sciences : « L’enfant et les écrans ». Il a fondé, avec Frédéric Tordo, en 2013, l’Institut pour l’étude des relations homme-robots (IERHR).

 

Photo : Possessed Photography via Unsplash