Nous apprenons la disparition d’une des figures fondatrices, aux côtés de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, d’un des courants sociologiques majeurs du XXe siècle en France. Jean-Claude Chamboredon, maître-assistant de sociologie à l’École normale supérieure, puis élu directeur d’études à l’EHESS en 1989 sur un programme d’enseignement et de recherche consacré à la sociologie de la socialisation, a formé plusieurs générations de sociologues qui, aujourd’hui, sont au cœur de la recherche en France.

Ses séminaires, pour celles et ceux qui ont eu le privilège de les fréquenter, ont profondément marqué ses étudiants par sa capacité analytique, l’acuité ethnographique de ses descriptions, mais également son inventivité théorique. Mais c’est sans doute sa liberté de ton et son indépendance de vue qui auront le plus frappé celles et ceux qui, au quotidien, dialoguaient avec lui. La liste de ses doctorants – Stéphane Beaud, Pierre Lassave, Sylvie Mazzella, Pierre-Paul Zalio, Mathieu Leborgne, Francesca Sirna, pour n’en citer que quelques uns – parmi lesquels figurent plusieurs chercheurs marquants qui ont fait partie ou font partie de notre laboratoire, et celle des chercheurs qui l’ont accompagné – Jean-Louis Fabiani, Pierre Fournier, Jean-Philippe Mathy, Michel Bozon, Philippe Gaboriau – dresse une cartographie de l’influence qu’il a exercée et qu’il continue d’exercer.

Il avait la rare capacité d’organiser la recherche comme une activité collective, où chacun trouvait la place qui lui revenait. Dès ses premiers travaux, il a su collaborer, pour sa première grande enquête sur la mixité sociale en banlieue avec Madeleine Lemaire ; sur la pratique de la chasse et les usages sociaux de la nature, avec Michel Bozon ; sur la construction des stéréotypes régionaux, à partir du cas de la Provence au XIXe siècle, avec Annie Méjean.

Partageant ses services entre Paris et l’antenne régionale de l’EHESS à Marseille, Jean-Claude Chamboredon a construit un projet ambitieux visant à étudier la ville de Marseille, sa complexité sociale et culturelle, à partir notamment d’un « atelier Marseille » qui avait vu le jour en 1998. « Chambo » a su alors créer une dynamique de groupe autour d’un séminaire hebdomadaire de recherche faisant partie du Diplôme d’ÉEtudes Approfondies et de la formation doctorale de l’EHESS Marseille qu’il a dirigée – après Jean-Claude Passeron – à la Vieille Charité. Jean-Claude Chamboredon était un coordinateur hors pair, qui avait su s’entourer, avec Pierre-Paul Zalio, Sylvie Mazzella, Pierre Fournier, Elkana Joseph ou Philippe Gaboriau, d’une jeune équipe proche et innovante. Des chercheurs comme le géographe Marcel Roncayolo, les sociologues Francis Godard, Jean Viard, Bernard Picon, Pierre Vergès, Jean Louis Fabiani, l’anthropologue Pierre Jordan s’intéressaient au projet et s’apprêtaient à apporter leurs originalités intellectuelles à cette aventure marseillaise.

Jean-Claude Chamboredon, a été un enseignant magistral, un passeur de savoirs, de passion, de mots, de culture et de bonne humeur. Sa générosité intellectuelle, son goût pour le contact humain et les mots ont profondément imprégnés ses enseignements. Homme de terrain, ce grand lettré savait écouter et discuter avec les plus humbles marseillais. Vivace, érudit, loin des appareils du pouvoir académique, fier de son indépendance, il a été, malgré ses soucis de santé, toujours proche des étudiants et des personnes en général. Apprendre à faire du terrain, c’est aller sur le terrain, observer, écouter, sentir. Au hasard des rues, des rencontres, ou encore dans les cafés du quartier du Panier.

Mais ses problèmes de santé ont entravé progressivement l’entreprise et empêché le développement et l’épanouissement de cette « École de Marseille », sorte d’École de Chicago à la française. Restent de ce court moment de vie intellectuelle intense des livres marquants, deux en particulier : Grandes familles de Marseille au XXe siècle, de Pierre Paul Zalio, paru en 1999 aux Éditions Belin, et Marseille entre ville et port, Les destins de la rue de la République, sous la direction de Pierre Fournier, Sylvie Mazzella (La Découverte, 2004), pour lequel il avait signé une importante postface.

Au-delà de l’hommage que commencent à adresser et adresseront plusieurs d’entre eux pour mettre en évidence ses apports intellectuels, le renouvellement des questionnements en sciences sociales et la découverte de terrains qu’il a impulsée, notre communauté de recherche, tous courants et disciplines confondus, tient à témoigner de l’importance de Jean-Claude Chamboredon, humaniste aussi modeste et discret que chercheur puissant et généreux, de la richesse de ses publications qui constituent aujourd’hui encore des ressources fécondes pour plusieurs de nos disciplines.

Emmanuel Pedler, Jean Boutier, Francesca Sirna & Philippe Gaboriau

 

Principales publications

Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie
Pierre Bourdieu (dir), Luc Boltanski et Robert Castel et Jean-Claude Chamboredon, Paris, Les Éditions de Minuit, « Le sens commun », 1965.

Le Métier de sociologue
Jean-Claude Passeron et Pierre Bourdieu et Jean-Claude Chamboredon, Paris, Mouton, Bordas, 1968.

Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement
Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, Revue française de sociologie, 1970, 11-1, pp. 3-33.

La délinquance juvénile, essai de construction d’objet
Jean-Claude Chamboredon, Revue française de sociologie, 1971, 12-3, pp. 335-377.

Développement économique et changement social. Classe sociale et changement social
Jean Ibanès et Jean-Claude Chamboredon, Paris – Bruxelles – Montréal, Bordas, 1974.

Production symbolique et formes sociales. De la sociologie de l’art et de la littérature à la sociologie de la culture
Jean-Claude Chamboredon, Revue française de sociologie, 1986, 27-3, pp. 505-529.

Jeunesses et classes sociales
Jean-Claude Chamboredon, Paris : Éditions Rue d’Ulm, 2015.

Territoires, culture et classes sociales
Jean-Claude Chamboredon, Paris : Éditions Rue d’Ulm, 2019.

 

Voir aussi

Le sociologue Jean-Claude Chamboredon est mort
Chloé Leprince, France Culture, 31 mars 2020.

Hommage à Jean-Claude Chamboredon
Site web de l’Ecole normale supérieure, 1er avril 2020.

Jean-Claude Chamboredon, grand sociologue de métier
Jean-Louis Fabiani, AOC, 2 avril 2020.

Hommage à Jean-Claude Chamboredon
Site web de l’EHESS, 6 avril 2020