Dans le cadre de sa thématique « Lieux et formes du politique », le Centre Norbert Elias invite ses chercheur·es à dialoguer, sous la forme d’un cycle de journée d’étude, autour des interactions entre engagements artistiques et politiques, ainsi que sur les liens entre pratiques artistiques et recherches ethnographiques ou historiques.

Que fait l’art à la recherche en sciences sociales dans notre monde contemporain ? Inversement, qu’apportent les sciences humaines et sociales au monde artistique ? Un nombre croissant de chercheur.es en sciences sociales mobilisent aujourd’hui des pratiques artistiques dans la fabrique et la diffusion de leur recherche ; certain.es exercent même une activité artistique constituant le cœur de leur recherche. Dans le même temps, nombre d’artistes et/ou de commissaires d’exposition ont adopté une démarche ethnographique dans leur pratique artistique. Comment s’opère le passage d’une modalité d’enquête à une autre ? En quoi ces allers-retours permettent-il de témoigner d’un engagement susceptible de dire d’autres choses autrement ? Cette journée d’étude est l’occasion de revenir sur l’articulation entre recherche et art pour questionner l’espace public aujourd’hui. Elle réunit chercheur.es et artistes pour réfléchir ensemble aux interactions entre engagements artistiques et politiques dans la cité, d’un point de vue épistémologique comme méthodologique.
En se fondant sur les différentes expériences de terrain des intervenant.es, de la banlieue parisienne aux villes palestiniennes, en passant par la photographie coloniale, nous explorerons différentes pratiques, représentations et dispositifs articulant engagements scientifique, artistique et politique dans des contextes géographiques et disciplinaires variés. Quels liens entretiennent ces chercheur.es et/ou artistes entre leurs pratiques artistiques, académiques et politiques, et comment envisagent-ils cette articulation, en rapport avec leur engagement dans l’espace ? Comment l’art – ou la recherche – peuvent-ils investir des dimensions sensorielles pour appréhender et faire connaître des revendications citoyennes et politiques ? Quels en seraient les effets heuristiques, le cas échéant, et au-delà des champs respectifs des SHS et du monde de l’art, quels possibles (nouveaux) langages plus accessibles à la société civile, ces pratiques hybrides sont-elles susceptibles de créer ? Quelles sont les limites et résistances rencontrées dans l’articulation de ces domaines par les praticiens de ces démarches expérimentales ?

 

 

Journée 1
Photographie et recherche, 4 février 2022, Marseille


 

La journée d’étude « Engagements artistiques et politiques : Photographie et recherche », se tiendra le 4 février 2022 de 14h00 au 18h00 au Mucemlab (Mucem, fort Saint-Jean), Marseille. Elle est co-organisée par Véronique Bénéi (Centre Norbert Elias/CNRS) et Marion Slitine (Centre Norbert Elias/EHESS/MUCEM). Elle inaugure un cycle de journées d’étude consacré à la réflexion sur les liens entre art, recherche et espace public, et s’inscrit dans la thématique du Centre Norbert Elias « Lieux et formes du politique » (coordonnée par Isabelle Grangaud et Melissa Blanchard).
Entrée libre sans réservation.

 

14h00-14h30
Aude FANLO (directrice du DRE, MuCEM)
Mots d’accueil
Marion SLITINE (Centre Norbert Elias/EHESS/MUCEM) et Véronique BENEI (Centre Norbert Elias/CNRS)
Introduction à la journée d’étude

14h30-15h00
Sary ZANANIRI (Leiden University)
Méthodologies sur la méthodologie : Engagements envers le passé
Les photographes en Palestine – et les pratiques de l’image historique qui leur sont associées – ont travaillé de manière variée dans de multiples juridictions photographiques, souvent en les croisant. L’un des premiers projets impliquant la photographie par exemple, fut l’Ordnance Survey of Jerusalem (1865), réalisé par le capitaine Charles Wilson du Royal Engineers britannique. Cette étude a donné l’impulsion nécessaire à la création du Palestine Exploration Fund, le premier d’une série d’instituts archéologiques qui seront fondés dans la région. Wilson fondera par la suite les services de renseignements militaires britanniques, qui deviendront le MI5, mais produira également une série de livres, Picturesque Palestine, qui s’adressent à un marché populaire pour les histoires bibliques de la Palestine. Cet exposé pose la question de savoir comment contextualiser des individus tels que Wilson, l’une des nombreuses personnes travaillant dans différentes pratiques d’image, en façonnant l’opinion publique, en contribuant au discours historique savant et en travaillant dans l’intérêt de l’État. Que peuvent dire ces pratiques sur la formation de systèmes d’imagerie qui ont eu des effets durables ? Et, plus important encore, pouvons-nous appliquer des méthodologies nouvelles et « récupératrices » pour comprendre ou miner les circonstances historiques dans le présent ?
Sary Zananiri est un artiste et historien culturel qui s’intéresse au colonialisme, à la modernité et à la construction de récits religieux et nationalistes à travers la culture visuelle. Il a exposé en Europe, au Moyen-Orient et en Australie, et a récemment organisé des expositions au Rijksmuseum Oudheden (mai-octobre 2020) et à la Haus der Kulturen der Welt pour ALMS (juin 2019). Il a coédité deux volumes en libre accès : Imaging and Imagining Palestine : Photography, Modernity and the Biblical Lens (Brill, 2021) et European Cultural Diplomacy and Arab Christians in Palestine : Between Contention and Connection (Palgrave McMillan, 2021). Zananiri est chercheur postdoctoral à l’université de Leiden.

15h30-16h00
Valérie JOUVE (photographe)
De Marseille à Jéricho. Photographier les corps en résistance
Le travail photographique et filmique de Valérie Jouve est fondé sur l’alchimie entre les corps et l’espace, l’humain et le paysage urbain. Après des études d’anthropologie, Valérie Jouve suit l’enseignement de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles avant de devenir photographe et cinéaste. Elle appartient à la génération de ces artistes qui, en France, se sont éloignés de la grande tradition humaniste des reportages photographiques, sans pour autant en rejeter complètement les éléments essentiels. Les photographies et les films de Valérie Jouve relèvent tout autant de l’art contemporain et du documentaire de création que de l’anthropologie et de la sociologie. Donnant à voir des personnages en mouvement et des architectures, ils interrogent la présence du corps dans la ville et les manières d’habiter l’espace. Les deux sujets classiques du paysage et du portrait sont associés de telle sorte que, dans la densité de situations urbaines, prennent place des scènes hautement chorégraphiques.

16h00-16h30
Camilo LEON-QUIJANO (Centre Norbert Elias/CNRS/La Fabrique des écritures)
Politique des images à l’épreuve du terrain : explorations plastiques et narratives en milieu urbain
Cette présentation explore la politique des images au sein d’une ethnographie visuelle en banlieue parisienne. En partant de pratiques collaboratives et sensorielles, j’analyserai les politiques de représentation visuelle dans des espaces urbains considérés comme marginaux. En particulier, je décrirai à quel point les choix plastiques, narratifs et scénographiques participent à la définition d’une politique des images dans un cadre ethnographique. Suivant une phénoménologie des pratiques de réalisation et de publicisation photographique, cette présentation permettra d’analyser les enjeux liés à la production de matériaux audiovisuels en anthropologie urbaine.
Né à Bogotá et basé à Marseille, Camilo Léon-Quijano est chercheur postdoctoral et photographe. Docteur de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), il explore les intersections entre l’anthropologie, les études visuelles et la photographie. Son travail a été présenté dans plusieurs médias tels que le British Journal of Photography, le Washington Post, Fisheye Magazine, Libération, Paris Match, Le Parisien, VICE et Days Japan.

16h30-17h30
Discussion générale

17h30-18h00
Isabelle GRANGAUD (Centre Norbert Elias/CNRS)
Remarques conclusives

Image : Célébration après la victoire de la France lors de la finale de la Coupe du Monde 2018. Quartier des Vignes Blanches, Sarcelles. © Camilo Léon Quijano.

 

 

Journée 2
Bandes dessinées et recherche, 27 avril 2022, Marseille


 

La seconde journée du cycle « Engagements artistiques et politiques » aura lieu le 27 avril 2022 à Marseille et sera consacrée à la bande dessinée, sous la coordination de Véronique Bénéï (Centre Norbert Elias/CNRS) et Marion Slitine (Centre Norbert Elias/EHESS/MUCEM). Le 27 avril à de 14h00 à 18h00 au MucemLab (fort Saint-Jean, Mucem, Marseille).
Entrée libre sans réservation.

 

 

14h00-14h15
Mots d’accueil et d’introduction
Véronique Bénéï (Centre Norbert Elias/CNRS) et Marion Slitine (Centre Norbert Elias/MUCEM)

14h15-15h00
Quand l’anthropologue rencontre l’illustratrice. L’expérience d’une collaboration éditoriale dans l’Égypte en révolution
Nathalie Desforges, illustratrice, et Perrine Lachenal, anthropologue (Centre Norbert Elias/CNRS)

La bande-dessinée « Éloignes-toi ! », parue en 2013 dans un magazine dédié au monde arabe (Rukh, l’esprit du nouveau monde arabe), est le fruit d’une collaboration d’une année entre l’anthropologue et la dessinatrice. Elle donne à voir la pratique de la self-défense féminine telle qu’elle s’enseigne au Caire en 2011, et à travers elle la manière dont le harcèlement sexuel a été construit comme problème public en Égypte. »
Nathalie Desforges est une auteure et illustratrice marseillaise. Elle travaille principalement pour la littérature jeunesse, mais dessine aussi pour la presse, la bande dessinée et dans des dispositifs artistiques divers. Elle anime régulièrement des ateliers avec des enfants.
Perrine Lachenal est anthropologue, chargée de recherche au CNRS, rattachée au Centre Norbert Elias à Marseille. Elle est spécialiste des questions de genre dans le monde arabe.

15h00-15h30
Le port a jauni : traduire le monde en poésie 
Mathilde Chèvre (éditrice, Le Port a jauni)

« Traduire » sera le fil conducteur de notre rencontre. Mathilde Chèvre, directrice éditoriale et fondatrice du Port a jauni, parle, en français et en arabe, et présente le projet éditorial tissé autour de l’idée de traduction : traduire que l’on peut dire naqala en arabe, et qui évoque les transports en commun, le voyage, le déplacement de soi… traduire comme un tissage entre deux langues… traduire d’une langue à l’autre, jouer avec les sens de lecture, traduire les illustrations en poèmes…. traduire le monde en poésie… « La traduction en poésie est le cœur de notre projet éditorial. La poésie a été la clé de mon accès à la langue arabe, apprise tardivement à partir de l’âge de vingt ans : Dire bonjour un matin en articulant mon premier « Sabah en-nour » (matin de lumière), c’est entrer en poésie… Apprendre par cœur mes premières Roubaiyat, quatrains du poète égyptien Salah Jahine, qui les a écrites en langue parlée, populaire et savoureuse dans les années 1960, c’est entrer en poésie… Pleurer en récitant, pour la première fois, par cœur le poème À ma mère de Mahmoud Darwich, poète palestinien de la deuxième moitié du 20e siècle, c’est entrer en poésie… Voir soudain l’image, au détour d’un vers de la Mu’allaqa de Imru-l-Qays, poète du désert du 6e siècle, qu’un vieux professeur syrien m’explique mot à mot, tant le verbe est ardu et le niveau de langue inaccessible pour moi, voir l’image dans les mots pour la première fois, c’est entrer en poésie… Tisser un projet éditorial en deux langues, sans se soucier des cartes d’identités, en cherchant une résonance dans les thèmes poétiques, donner à voir et à entendre les deux langues ensemble dans un contexte artistique, loin des poncifs idéologiques attendus, c’est proposer un autre accès au monde, c’est entrer en poésie…

15h30-15h45
Pause

15h45-16h15
Partir de zéro : Comment le design m’a sauvé 
Lena Merhej, illustratrice (Samandal)

« Étudiante parmi des programmes pionniers de design, j’ai été sensibilisée à l’importance de l’identité visuelle (du Liban après la Guerre) et à la recherche d’une histoire visuelle (suspendue pendant quinze ans de guerre). Dans mon travail, j’ai compris l’importance de l’Histoire, de l’identité, et de la santé mentale. Je présente ici le reste de ce parcours par les livres jeunesses et les bd que j’ai illustrées ou créées, tout en soulignant le rôle du design pour déployer le politique dans mon travail ».
Lena Merhej est née en 1977 à Beyrouth d’une mère allemande et d’un père libanais. Après des études en design et graphisme, elle devient illustratrice de livres jeunesse et de BD. Elle a écrit et illustré plus de trente-cinq albums pour enfants dans le monde arabe, et fait partie de l’équipe fondatrice de Samandal, premier fanzine et éditeur de BD du monde arabe. Lena Merhej a enseigné l’illustration et l’animation dans les universités américaines à Beyrouth. Elle a réalisé un mémoire à Parsons School of Design à New York en 2002, et un doctorat sur la narration de la guerre dans la bande dessinée libanaise en 2015, soutenue à l’Université Jacobs en Allemagne. La guerre est une thématique récurrente dans sa création artistique, c’est le sujet de son premier album BD, Je pense qu’à la prochaine guerre on sera mieux préparés (2006), le livre le plus vendu au Liban en 2007. Son film d’animation Dessiner la guerre a gagné le prix du jury du Festival de New York et a été présenté dans divers événements locaux et internationaux. Son album BD Kamen sine a reçu le prix du meilleur album de bd au FIBDA d’Alger en 2009. En 2013, le FIBDA la prime à nouveau pour son œuvre Laban et confiture, ou comment ma mère est devenue libanaise. En 2019, son livre Salam remporte le prix du meilleur album de Mahmoud Kahil. Avec le Collectif Samandal, Lena Merhej prépare depuis 2019 une nouvelle collection BD jeunesse : « WatWat ».

16h15-16h45
Stupéfiantes, une enquête illustrée
Céline Lesourd, anthropologue (Centre Norbert Elias/CNRS)

En Éthiopie, une anthropologue rencontre un auteur-illustrateur. Elle, Céline Lesourd, enquête sur la consommation, la culture et le commerce, local et mondial, du khat, une plante mâchée pour ses effets stimulants. Lui, Nicolas Deleau réside à Addis-Abeba, où il enseigne et dessine. Et les effets du khat font le reste : enthousiastes, ils décident d’écrire ensemble Stupéfiantes, une enquête illustrée qui donne à comprendre plus spécifiquement le rôle des femmes dans le commerce du khat.
Céline Lesourd est anthropologue, chargée de recherche au CNRS et membre du Centre Norbert Elias à Marseille. Elle travaille à une socio-anthropologie des élites économiques et politiques en Afrique (Mauritanie et Éthiopie). Elle a notamment publié deux ouvrages, Femmes d’affaires de Mauritanie (Paris, Karthala 2014), et Mille et un litres de thé, enquêtes auprès de femmes d’affaires mauritaniennes (Paris, Ginko Editions, Collection De Près de Loin, 2010). Elle a également ouvert un nouveau terrain en Éthiopie sur les conséquences locales, à Dire Dawa, de la circulation globale du khat.

16h45-17h15
Bottes people : raconter la frontière comme circulation
Raphaël Botiveau, chercheur et cinéaste

Partant d’une enquête menée sur la frontière italo-française, dans les Hautes-Alpes, entre 2018 et 2020 (dans le cadre d’un postdoctorat Ehess-Mucem), le reportage graphique Bottes people dans les Alpes (2022) est complémentaire d’un film (400 Paires de bottes, 2020), d’un documentaire sonore (Comme une guerre qui ne finissait jamais, 2020) et d’une acquisition patrimoniale.
Après un doctorat en science politique (Université Paris 1/ La Sapienza Università di Roma, 2014), Raphaël Botiveau suit le cursus du Fresnoy-Studio national des arts contemporains (2017). Il se dédie principalement aujourd’hui à la réalisation de films documentaires de création et travaille en particulier sur la thématique des frontières et de leur franchissement (London Calling, 2017; 400 Paires de bottes, 2020). Il est chercheur affilié à l’Institut des mondes africains et membre de l’Institution Convergences Migrations.

17h15-17h30
Pause

17h30-18h00
Conclusions et discussion générale

Image :  © Lena Mehrej